Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel. |
La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) permet à tout justiciable de soulever la question de la constitutionnalité de la loi applicable au litige dont il est partie. Il peut le faire à tous les stades du procès, que ce soit devant un juge judiciaire ou un juge administratif. Cette réforme donne au Conseil constitutionnel un nouveau pouvoir de contrôle a posteriori : s’il pouvait déjà se prononcer sur la constitutionalité d’une loi avant sa promulgation (en vertu de l’application de l’art. 61 C), il peut désormais se prononcer après, à condition toutefois qu’il soit saisi de cette question par les hautes juridictions.
Le principal objectif de l’introduction de la QPC est de réaffirmer la prééminence de la Constitution dans la hiérarchie des normes mise à mal par la montée du droit international, et notamment du droit européen à travers la CEDH. La QPC est “prioritaire” car elle doit être examinée en priorité, c’est-à-dire avant le contrôle de conventionnalité (c’est-à-dire de l’examen de la conformité de loi française aux traités internationaux), et parce qu’il s’agit d’une question préjudicielle (d’une question juridique posée lors d’un procès à propos d’une disposition qui bafouerait une liberté fondamentale).
L’idée de cette introduction est ancienne. En 1990, le président du Conseil constitutionnel Robert Badinter propose un premier projet de contrôle de constitutionnalité a posteriori , soutenu par le président Mitterrand, mais qui est repoussé par les sénateurs. En 1993, le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, présidé par le doyen Vedel, préconise à son tour la création d’un mécanisme de question préjudicielle de constitutionnalité, mais cette proposition se trouve à nouveau rejeté. A chaque fois, que ce soit dans le projet de Badinter ou de Vedel, la crainte des parlementaires est de voir instaurer un gouvernement des juges.
En 2008, cette idée connaît un nouveau souffle et est reprise par le comité Balladur qui souligne l’incohérence d’un système où l’on accorde “plus de prix à la norme de droit international qu’à la Constitution elle-même”. L’idée fait son chemin et la révision constitutionnelle de 2008, s’inscrivant dans le prolongement des propositions du comité Balladur, ouvre au justiciable la possibilité de faire valoir les droits et libertés garantis par la Constitution pour contester devant le juge en charge de son litige la constitutionnalité d’une disposition législative applicable à son problème en insérant dans la Constitution le nouvel art. 61-1 C :
“Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article.”
La révision de 2008 modifie également l’art. 62 C qui précise, entre autres choses, les conséquences d’une décision d’inconstitutionnalité :
“Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause.”
C’est la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 qui a défini ensuite les modalités d’application de la QPC. Celle-ci peut être posée au cours de tout litige, devant un tribunal administratif ou judiciaire, hormis la Cour d’assises.
La procédure de la QPC peut être qualifiée d’indirecte car elle se fait à travers plusieurs étapes. Le juge doit d’abord déterminer si la QPC est fondée. Il dispose pour cela de trois critères, la disposition faisant l’objet de la QPC doit :
- ne pas avoir été déjà validée par le Conseil constitutionnel (sauf changement de circonstances de droit) ;
- être applicable au litige ;
- présenter un caractère sérieux.
Si la QPC lui semble recevable, il sursoit à statuer et transmet la QPC au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation dans un délai de 8 jours.
Ces hautes juridictions (CE ou C. Cass.) ne tranchent pas sur le fond du litige, mais elles ont 3 mois pour se prononcer sur le renvoi ou non de la QPC au Conseil constitutionnel. Si elles ne le font pas à l’expiration du délai, le renvoi est automatique.
Si le Conseil constitutionnel est saisi de la QPC, il dispose également d’un délai de 3 mois pour juger la QPC. Les règles d’examen de la QPC respectent les principes d’un débat contradictoire et public. Comme le précise l’art. 62 C, quelle que soit la décision rendue par le Conseil constitutionnel, celle-ci s’impose erga omnes (à l’égard de tous et non au seul requérant) et n’est susceptible d’aucun recours. En outre, elle vaut pour tous les litiges en cours fondés sur la disposition ayant fait l’objet d’une QPC. Deux possibilités :
- soit le CC déclare la loi conforme à la Constitution : la procédure judiciaire reprend alors son cours normal ;
- soit le CC déclare la loi non conforme à la Constitution : la loi est alors abrogée, doit de façon immédiate, soit de façon différée.
Depuis un an, 2000 QPC ont été posées devant les juges, ce qui démontre un certain succès de la procédure. Un quart d’entre elles passe la première étape et parvient aux juridictions (CE et C. Cass.) et une centaine seulement est examinée par le CC. Sur cette centaine d’affaire, le CC a rendu 14 décisions d’annulation totale et 7 décisions d’annulation partielle. Les principales décisions ont porté sur les pensions des anciens combattants des ex-colonies, sur la garde à vue ou sur l’hospitalisation sans consentement.
Le principal intérêt de cette réforme est de permettre au CC de mettre le droit français en conformité avec la conception contemporaine des droits et libertés. Certaines lois anciennes n’ont en effet jamais été abrogées et peuvent aujourd’hui sembler désuètes. La critique de l’établissement d’un gouvernement des juges – le CC venant se substituer au Parlement – peut être désamorcée par le fait que le CC laisse un temps suffisant au Parlement de remplacer la loi ancienne par une nouvelle loi, comme ce fût le cas après avoir censuré la garde à vue, et qu’il ne donne aucune injonction à celui-ci sur la nouvelle procédure à mettre en place.
Pour la sociologue et ancienne membre du Conseil constitutionnel Dominique Schnapper, la QPC constitue un “progrès de l’état de droit “, à condition toutefois que le Conseil d’État et la Cour de Cassation “jouent le jeu” et ne réduisent pas le rôle final du juge constitutionnel. En effet, cette procédure indirecte accentue le rôle de filtre du Conseil d’État et de la Cour de cassation, ce qui certes, offre une garantie à la bonne administration de la justice et permet d’éviter l’engorgement des cours, mais leur laisse une marge d’appréciation sur l’interprétation des dispositions potentiellement contraires à la Constitution.