La Constitution et le bloc de constitutionalité

La Constitution est le texte fondamental qui détermine la forme du gouvernement d’un pays. Le terme de constitution vient du latin constitutio qui signifie institution. La Constitution est en effet ce qui institue, c’est-à-dire ce qui établit légalement un Etat. Mais elle est aussi une constitution au sens d’organisation et de structuration des relations de pouvoir, puisqu’elle définit les rapports des membres selon des règles leur conférant des droits et des garanties sur le respect de ces droits. La Constitution est donc la condition de possibilité d’un Etat de droit, c’est-à-dire d’un Etat dont l’action publique est encadrée par la loi. C’est en ce sens que l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame en 1789 que “toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution” (art. 16 DDHC).

1/ Dans la plupart des pays, la Constitution donne lieu à un texte écrit. Sur ce point, la Grande-Bretagne fait figure d’exception, mais elle est cependant un Etat de droit au sens où il existe des règles tirant leur autorité de la tradition et qui encadrent le fonctionnement des institutions britanniques. 

A) Lorsque la Constitution est écrite, elle est souvent le signe d’une évolution d’une conception du pouvoir passant de l’exercice d’une autorité absolue liée au droit divin, à une souveraineté organisée de la nation. C’est le cas notamment aux Etats-Unis (1787), en France (1791) et en Russie (1917). Dans ce cas, la Constitution devient le fondement de toutes les autres branches du droit. Elle se situe au sommet de l’ordre juridique dans la hiérarchie des normes (cf. La hiérarchie des normes). 

B) Relativement à aux différents pouvoirs, la Constitution détermine trois choses essentielles

  • la source, 
  • l’étendue,
  • les limites. 

La source des pouvoirs découle de la souveraineté. En France, l’article 3 de la Constitution dispose que “la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum” (art. 3 C). La souveraineté définit qui a la capacité d’adopter et de modifier la Constitution. 
L’étendue des pouvoirs est ensuite établie à travers une hiérarchie entre les normes et la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire (cf. La théorie de la séparation des pouvoirs). 
Enfin, des limites sont données à ces pouvoirs grâce aux garanties et aux voies de recours offertes en cas de non respect des dispositions constitutionnelles. La Constitution rend nécessaire la mise en place d’un contrôle juridictionnel de l’administration, qui en France, est assuré par le Conseil constitutionnel. 

C) La Constitution du 4 octobre 1958 comporte, à l’origine, 92 articles qui sont précédés d’un court Préambule. Elle contient des dispositions concernant l’organisation et les relations des pouvoirs publics, mais reste discrète sur l’énoncé de droits fondamentaux. Elle est le fondement juridique de la Ve République. Son contexte de rédaction s’inscrit dans la volonté de mettre fin à l’instabilité gouvernementale qui avait cours sous la IVe République (mais aussi sous la IIIe). 
Elle est marquée par le “parlementarisme rationalisé”, c’est-à-dire par un exécutif fort qui vient tempérer l’ardeur des parlementaires à défaire les gouvernements. Deux corollaires accompagnent ce type de régime : le droit électoral cherche à favoriser l’émergence d’une majorité parlementaire stable et le gouvernement est plus difficile à renverser que dans un régime parlementaire stricto sensus. 
Elle est le résultat de l’inspiration de deux hommes : Michel Debré, qui souhaitait un Premier ministre fort, à l’image du modèle britannique et le Général de Gaulle, qui voulait placer à la tête de l’Etat un Président qui soit le garant des institutions, conformément à ses principes énoncés dès 1946 dans son célèbre discours de Bayeux.

2/ La Constitution n’est pas le seul texte placé au sommet de l’ordre juridique interne en France. D’autres textes auxquels elle renvoie, trônent au sommet de la hiérarchie des normes. Ils constituent ensemble “un bloc de constitutionnalité”

A) Le bloc de constitutionnalité désigne l’ensemble des normes de valeur constitutionnelle qui sont protégées par le Conseil constitutionnel. L’une des nouveautés de la Ve République est qu’elle introduit un contrôle de constitutionnalité des normes et une institution chargée de celui-ci : le Conseil constitutionnel (CC). 
Au départ, le CC peut exerce son contrôle des lois en se servant uniquement de la Constitution. Mais à partir de 1971 et d’une décision largement prétorienne (c’est-à-dire dégagée par le juge lui-même), il s’autorise à contrôler les lois selon leur conformité à d’autres textes, ceux constituant le bloc de constitutionnalité, et donc de censurer celles qui constituent une atteinte aux droits fondamentaux des citoyens ou qui menacent l’Etat de droit. 

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B) Le contrôle juridictionnel réalisé par le CC s’est mis en place progressivement. 
Il a tout d’abord commencé timidement, de 1958 à 1971, avec quelques décisions relatives à des lois organiques dans le cadre d’un contrôle obligatoire de la loi en application de l’art. 61 C

“les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l’article 11 avant qu’elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution”. 

Il a ensuite suivi un rythme accru à partir de la décision 44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association (CC, 1971, Liberté d’association). Cette décision constitue une étape décisive puisque, par elle, le Conseil constitutionnel instaure un véritable contrôle de constitutionnalité au fond en France. Dans cette décision, le CC considère alors que : 

“au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR) et solennellement réaffirmés par le Préambule de la Constitution, il y a lieu de ranger le principe de la liberté d’association”. 

Outre l’allusion nouvelle aux PFRLR, cette décision utilise le Préambule de la Constitution de 1958 comme une norme de niveau constitutionnel et consacre, par la même occasion, les renvois qu’il fait au Préambule de 1946 et à la DDHC
Dans ce Préambule de la Constitution de 1958, il est en effet affirmé que :

“le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée par le Préambule de la Constitution de 1946”. 

A travers la décision Liberté d’association, le CC confère donc une valeur constitutionnelle à ces autres textes fondateurs du droit français qui forment ainsi, avec la Constitution, ce qu’on appelle le bloc de constitutionnalité

C) Le bloc constitutionnel est aujourd’hui constitué de quatre textes : 

  • le Préambule de la Constitution de 1956 : il réaffirme l’attachement du peuple français à la DDHC, telle qu’elle est complétée par le Préambule de 1946. En 2005, une loi constitutionnelle a modifié ce préambule pour y introduire un renvoi à la Charte de l’environnement. Les droits et devoirs définis dans cette Charte font donc désormais partie du bloc de constitutionnalité ; 
  • le Préambule de la Constitution de 1946 : il réaffirme les droits consacrés par la DDHC, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR) que le Conseil constitutionnel va désormais pouvoir dégager et proclame les principes politiques, économiques et sociaux apparaissant comme “particulièrement nécessaires à notre temps”, au titre desquels il faut mentionner l’égalité des droits hommes-femmes, le droit d’asile, le droit à l’emploi, la liberté syndicale, le droit de grève et le droit à la santé. Ces principes ont été décrits comme des droits-créances impliquant de la part de l’État des prestations positives et non plus la simple obligation de s’abstenir d’y porter atteinte ; 
  • la DDHC : elle contient les principes essentiels utilisés par le Conseil constitutionnel pour son contrôle, notamment ceux de la liberté d’expression, de l’égalité de tous devant la loi, devant les emplois publics, devant l’impôt, de la non-rétroactivité des lois pénales, de la proportionnalité des peines ou encore de la propriété ; 
  • la Charte de l’environnement de 2004 : elle est composée de dix articles dont le plus célèbre est l’art. 5 qui consacre le principe de précaution selon lequel “lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage”.