L’organisation décentralisée de la République

Depuis la révision constitutionnelle de 2003, l’affirmation que l’organisation de la République est décentralisée se trouve inscrite à l’art. 1er C, conférant ainsi à la décentralisation une nouvelle impulsion forte. La décentralisation consiste à donner une importance plus grande à la gestion publique locale conformément au principe de subsidiarité inscrit depuis cette révision à l’art. 72 al. 2 C. Si la République est décentralisée, elle n’est pas pour autant fédérale, c’est-à-dire qu’elle n’accorde qu’une autonomie relative aux collectivités territoriales. Toutefois, elle a su s’adapter aux différences de son vaste territoire en mettant en place des aménagements, notamment en ce qui concerne les territoires d’outre-mer. 

1/ Les collectivités territoriales sont des structures administratives françaises, possédant la personnalité morale, distinctes de l’administration de l’État. 

A/ Le rôle principal des collectivités territoriale est la prise en charge des intérêts de la population d’un territoire précis. Si, contrairement à l’Etat, les collectivités territoriales sont une circonscription limitée à une partie du territoire national, elles ont en revanche, comme lui, une clause de compétence générale. Cette compétence générale signifie qu’elles peuvent agir et prendre des décisions sur le fondement de l’intérêt public local. Elles détiennent ainsi un pouvoir d’initiative pour toute intervention répondant à l’intérêt du territoire dont elles ont la charge.
Trois critères définissent les collectivités territoriales :

  • elles sont dotées de la personnalité morale (ce qui permet d’ester en justice),
  • elles sont dirigées par des conseils élus : elles “s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions fixées par la loi” (art. 72 C) ;
  • elles détiennent des compétences propres conférées par le Parlement (elles ne détiennent pas de souveraineté).

Les collectivités territoriales relèvent, en effet, de la compétence du législateur qui définit, aux termes de l’art. 34 C, le régime électoral des assemblées locales et les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. Cette compétence s’exerce dans le respect des principes qui régissent les collectivités territoriales énoncés au titre XII (art. 72 à 75 C). La jurisprudence a entendu cette compétence du législateur de manière large et aucune contrainte ne peut être imposée par voie réglementaire aux collectivités territoriales. 

B/ La révision constitutionnelle de 2003 a renforcé l’autonomie des collectivités territoriales et a introduit de nombreuses modifications les concernant, elle a : 

  • unifié le vocabulaire juridique autour de la notion de collectivités territoriales, puisque jusqu’à cette date, les termes de “collectivités locales” étaient aussi utilisés dans la Constitution ;
  • introduit le principe de subsidiarité : “les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon” (art. 72 al. 2 C) ;
  • ouvert un droit à l’expérimentation, c’est-à-dire la possibilité de déroger à titre expérimental aux lois et règlements nationaux : “dans les conditions prévues par une loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales peuvent lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, à titre expérimental, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences” (art. 72 al. 4 C). Ces dispositions sont encadrées par des critères inspirés de la jurisprudence du CC et ont été précisées par la loi organique de 2003 ;
  • introduit la notion de chef de filat : si “aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre”, néanmoins “lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune” (art. 72 al. 5 C) ;
  • ajouté l’art. 72-1 C relatif à la démocratie locale et l’art. 72-1 C relatif aux finances des collectivités territoriales.

a) Trois nouveaux instruments de la démocratie locale sont prévus par l’art. 72-1 C :

  • le droit pétition : les électeurs d’une collectivité territoriale peuvent demander l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de cette collectivité territoriale d’une question relevant de sa compétence ;
  • le référendum local : une collectivité territoriale peut soumettre au vote de ses électeurs tout projet relevant de sa compétence ;
  • la consultation des électeurs d’une collectivité : elle est possible lorsqu’il est envisagé de créer une collectivité à statut particulier ou de modifier soit l’organisation d’une telle collectivité, soit les limites des collectivités territoriales.

b) L’art. 72-2 C relatif aux finances locales affirme qu’elles “bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi”. Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toute nature et la loi peut les autoriser à en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine. Ce régime financier permet à la loi de prévoir des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales. En outre, deux nouveaux principes relatifs aux finances des collectivités territoriales y figurent :

  • les recettes fiscales et les autres ressources propres dont elles disposent doivent représenter une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources” ;
  • tout transfert de compétences de l’Etat vers les collectivités territoriales doit s’accompagner “de l’attribution des ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice” et toute création ou extension de compétences qui a “pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi”.
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C/ Si la révision de 2003 a renforcé la décentralisation, la France reste un Etat unitaire, c’est-à-dire un Etat où tous les citoyens sont soumis au même et unique pouvoir. Les divisions territoriales qu’il connaît (commune, département, région) disposent d’une autonomie relative : les collectivités territoriales ne détiennent pas la compétence de leur propre compétence. En ce sens, la France se distingue d’un Etat fédéral tel que les Etats-Unis ou l’Allemagne où la souveraineté est partagée entre l’État et une multitude d’États fédérés.
Dans les Etats fédéraux, le bicaméralisme s’impose afin que l’une des chambres représente les Etats fédérées : telle est la vocation du Sénat aux USA ou du Bundesrat en Allemagne. Le bicaméralisme en France revêt une spécificité particulière, car le Sénat n’a pas pour objectif de représenter des Etats souverains, mais d’assurer “la représentation des collectivités territoriales de la République” (art. 24 C). 
Selon Gambetta, le Sénat français est le “grand conseil des communes de France”. Il joue le rôle d’une assemblée des collectivités territoriales. La révision de 2003 renforce ce rôle en donnant une priorité au Sénat pour les textes relevant des collectivités territoriales : “sans préjudice de l’art. 44 C [règles régissant le droit d’amendement], les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat” (art. 39 C). Pour cette raison les élus locaux sont très attachés à cette assemblée. Lors du référendum d’avril 1969, la plupart d’entre eux se sont ainsi mobilisés contre le projet de loi réduisant son rôle à celui d’une assemblée consultative sans pouvoir de blocage. Le soin avec lequel le Sénat a examiné les textes relatifs à la réforme des collectivités territoriales en 2010 est révélateur des liens qui unissent cette assemblée aux exécutifs locaux.

2/ Certaines collectivités territoriales disposent d’aménagements spécifiques par rapport au droit commun pour leur permettre de s’adapter aux particularités de leur territoire. 

A/ Les collectivités territoriales sont mentionnées par la Constitution, ce sont : 

“les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer” (art. 72 C). 

On peut donc distinguer trois sortes de collectivités territoriales :

  • les collectivités de droit commun (régions, départements, communes) ;
  • les collectivités d’outre-mer (régies par l’art. 73 et 74 C) ;
  • les collectivités “sui generis”.

Pour autant, toutes les collectivités territoriales, même de droit commun, n’observent pas les mêmes règles de fonctionnement. Plusieurs exemples peuvent être cités qui montrent la relative plasticité de l’organisation décentralisée de la République :

  • l’Alsace-Lorraine : depuis 1919, date de leur retour sous drapeau français, les trois départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ont conservé leur droit local issu du droit germanique. En l’absence de dispositions législatives contraires, le droit local continue de s’appliquer dans ces départements dans la mesure où il ne contient pas de dispositions contraires à la Constitution. L’une des spécificités les plus notables est relative aux rapports des églises et de l’Etat qui sont régis par le Concordat de 1801 et non par la loi de séparation de 1905, ce qui, comme le remarque le CE, se fait sans que la laïcité n’y fasse obstacle (CE, 2001, Syndicat national des enseignements du second degré) ;
  • Paris : le département et la ville de Paris recoupent le même territoire et obéissent à des règles propres. Par exemple, le préfet de police exerce à Paris une grande partie des attributions de police qui reviennent au maire dans les autres villes ;
  • la Corse : elle a été dotée d’un statut qui la distingue des régions (loi de 1991, puis loi de 2002). Le CC a admis de fortes particularités institutionnelles (Assemblée de Corse, conseil exécutif élu par elle et responsable devant elle) conférant à cette collectivité territoriale des compétences élargies (CC, 2002, Loi relative à la Corse).

B/ Les collectivités d’outre-mer sont les territoires de la République française régis par les art. 73 et 74 C
Depuis 2003, la catégorie juridique des territoires d’outre-mer (TOM) n’existe plus dans la Constitution. A la place, une nouvelle distinction a été instaurée entre les DROM et les COM. Il faut donc distinguer :

  • les départements et régions d’outre-mer (DROM) régis par l’art. 73 C : ce sont la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion. Leur statut est proche de celui des départements et régions de métropole mais connaît des particularités accentuées par la révision de 2003 ;
  • les collectivités d’outre-mer (COM) à statut particulier régies par l’art. 74 C : ce sont la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, Mayotte (qui est devenu un DOM en 2011), Wallis-et-Futuna et depuis la loi organique de 2007, Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

a) Les DROM obéissent au principe d’assimilation législative

“les lois et règlements sont applicables de plein droit” (art. 73 C)

Toutefois, sous le contrôle du CC (CC, 2004, Loi relative aux libertés et responsabilités locales), ils peuvent “faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités” (art. 73 C). 
En outre, la loi ou le règlement peut permettre à ces collectivités de mettre en place des adaptations dans les matières qui relèvent de leurs compétences. La Guadeloupe, la Guyane et la Martinique – la Réunion mise à part – peuvent être habilitées à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire à certaines matières relevant du domaine de la loi ou du règlement, à l’exception de questions d’importance particulière qui demeurent nombreuses et réservées à l’Etat (par exemple : nationalité, droits civiques, libertés publiques, etc.). 
Enfin, l’art. 73 C permet aux DROM d’instituer une collectivité unique après accord des électeurs des circonscriptions concernées. En 2003, cette possibilité a été refusée par les électeurs de la Guadeloupe et de la Martinique, mais acceptée par ceux de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, deux îles rattachées jusqu’alors à la Guadeloupe, et qui sont devenues de ce fait, des COM.

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b) Les COM ont un statut “qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République” (art. 74 C). Ce statut relève d’une loi organique qui est taillée sur mesure. Elle définit notamment :

  • les compétences de la collectivité,
  • les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables,
  • les règles d’organisation et de fonctionnement de ses institutions,
  • le régime électoral de son assemblée délibérante.

Certaines COM peuvent être “dotées de l’autonomie” (art. 74 C). Dans ce cas, la loi organique détermine, notamment, les conditions dans lesquelles :

  • “le CE exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certaines catégories d’actes de l’assemblée délibérante” ;
  • “des mesures justifiées par les nécessités locales peuvent être prises par la collectivité en faveur de sa population, en matière d’accès à l’emploi, de droit d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier” : ces dispositions permettent de déroger au principe d’égalité pour prendre en faveur de la population locale des mesures inspirées par un souci de discrimination positive.

La Polynésie française dispose d’un tel statut depuis l’adoption d’une loi organique de 2004 qui lui permet de voter des “lois du pays” ouvrant la voie à une autonomie assez poussée. Le CC considère que ces lois du pays ont le caractère d’actes administratifs et qu’il appartient en conséquence au CE de s’assurer qu’elles respectent “les PGD ainsi que les engagements internationaux applicables en Polynésie française” (CC, 2004, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française). Elles peuvent également être déférées au CE par la voie du recours pour excès de pouvoir. Le CE exerce son contrôle de légalité sur ce fondement (par exemple : CE, 2006, Commune de Papara). 
Selon l’art. 74-1 C, dans les COM et en Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement peut étendre par ordonnances les dispositions de nature législative en vigueur en métropole dans les matières qui demeurent de la compétence de l’État (à moins que la loi prévoie expressément d’exclure le recours à cette procédure). Comme les ordonnances de l’art. 38 C, ces ordonnances de l’art. 74-1 C sont “prises en conseil des ministres après avis des assemblées délibérantes intéressées et du Conseil d’État”. Une habilitation permanente est ainsi donnée au Gouvernement, mais sous la condition expresse de leur ratification par le Parlement dans un délai de 18 mois, sans laquelle elles deviennent caduques.
Deux jurisprudences complètent ce cadre constitutionnel :

  • lorsque le statut particulier d’une COM prévoit que l’assemblée de cette collectivité doit être consultée avant l’adoption d’une loi nationale, le CC exige que cette consultation intervienne au plus tard avant le vote du texte en première lecture ;
  • dans le cas où le statut retient le principe de spécialité législative (les lois métropolitaines ne s’appliquent que si elles le prévoient expressément à l’exception des lois regardées comme des lois de souveraineté), la mention expresse d’application est également nécessaire à l’application des lois qui modifient une loi applicable dans cette collectivité (CE, 1990, Elections municipales de Lifou).

C/ Les collectivités “sui generis” (= de leur propre genre) désignent les collectivités avec des statuts spécifiques non assimilables aux deux autres catégories que sont les DROM et les COM :

  • les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et l’îlot de Clipperton dans le Pacifique ;
  • la Nouvelle-Calédonie qui dispose d’un statut situé entre indépendance et gouvernement et qui est régie par le titre XIII (art. 76 et 77 C).

a) Les TAAF et Clipperton sont des territoires inhabités. Leur régime législatif et leur organisation particulière sont fixés par la loi (et non par une loi organique comme pour les COM).

b) La Nouvelle-Calédonie a un statut constitutionnel qui lui est propre : la citoyenneté calédonienne étant reconnue, la souveraineté est partagée avec la France. 
La révision constitutionnelle de 1998 a permis l’application de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998. Cet accord prévoit le transfert de certaines compétences de la France vers la Nouvelle-Calédonie dans de nombreux domaines à l’exception de ceux de la défense, de la sécurité, de la justice et de la monnaie. Il a été négocié à la suite des accords de Matignon de 1988. Un scrutin d’autodétermination pour la Nouvelle-Calédonie (indépendance ou maintien dans la République française) sera organisé à l’issue de cette démarche entre 2014 et 2019. 
La révision de 1998 confère à cet accord une valeur constitutionnelle (CC, 2004, Loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales). Le Congrès de Nouvelle-Calédonie adopte des “lois du pays”, selon une procédure analogue à celle des lois nationales (avis du CE, contrôle du CC). Les “lois du pays” de la Nouvelle-Calédonie ont donc un régime juridique sensiblement différent de celles de la Polynésie française, car elles instaurent des liens de nature presque fédérale avec la République. 
Une loi organique de 1999 fixe le statut de la Nouvelle-Calédonie. 
Depuis la révision de 2007, le corps électoral appelé à désigner les membres du Congrès et des assemblées de provinces est composé uniquement des électeurs qui étaient domiciliés dans ce territoire depuis dix ans à la date de la consultation de 1998, ainsi qu’à leurs enfants devenus majeurs.