Michel Camdessus. |
Le principe d’équilibre budgétaire renvoie à la nécessité d’équilibrer les comptes de manière à éviter la présence de déficit dans le budget de l’Etat. Il n’est pas vraiment une règle technique traditionnelle comme le principe d’annualité ou d’universalité, car il est très rarement respecté, comme le montre la situation des finances publiques actuelles (7 % du PIB de déficit public en 2010). Il faut ajouter que la politique budgétaire fait partie d’une possibilité proposée par le courant keynésien de la théorie économique. La question de l’équilibre est donc, en outre, un enjeu politique sensible.
Cependant, ce principe tend à prendre une place de plus en plus importante du fait de la construction européenne et de la mise en place de l’euro. En l’absence de gouvernement économique capable de mener une politique budgétaire coordonnée, la lutte contre les déficits publics reste un objectif rationnel au sens où toute tentative de relance budgétaire non coordonnée est condamnée a priori à l’échec. Ainsi, on constate aujourd’hui des tentatives pour accroître la valeur juridique du principe d’équilibre.
1/ La notion d’équilibre est une notion plus économique que budgétaire. Avec la révision constitutionnelle de 2008, elle se trouve inscrite à l’art. 34 C :
“Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques.”
Depuis 2008, les lois de programmation remplacent donc les anciennes “lois de programme à caractère économique et social” et visent à permettre une meilleure gouvernance des finances publiques. Elles permettent de définir une stratégie d’ensemble cohérente sur trois ans (la première loi de programmation s’étend de 2009 à 2012, la deuxième de 2011 à 2014), mais surtout de décliner l’objectif de retour à l’équilibre des finances publiques, conformément aux engagements pris au niveau européen (pas plus de 3 % de déficit selon les termes du Pacte de stabilité et de croissance) et de le solenniser par un vote du Parlement. Ces lois de programmations portent sur l’ensemble des administrations publiques (État, Sécurité sociale et collectivités locales) et comprennent le budget pluriannuel de l’État (2009-2011) intégrant les réformes décidées dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP).
Les lois de programmation ont pour avantage de tracer un cadre à l’évolution des finances publiques avec une longueur de vue plus importante que celle imposée par le principe d’annualité s’appliquant aux lois de finances. Elles renforcent également la maîtrise de l’Etat sur ses dépenses. Ainsi la préparation des lois de finances se fait désormais sur la base d’un budget pluriannuel, notamment à travers la Programmation à moyen terme (PMT) que réalise la direction du Budget.
L’inscription dans la Constitution d’un objectif d’équilibre des comptes permet donc, en théorie, au Conseil constitutionnel de censurer les projets de loi de finances votés en déséquilibre. Mais le Conseil constitutionnel a toujours observé, dans sa jurisprudence, une conception souple de la notion d’équilibre. L’équilibre est apprécié au regard des intérêts économiques et non pas seulement en fonction d’une stricte égalité inscrite dans le budget entre les ressources et les charges. La première partie de la loi de finances définit l’équilibre économique et financier pour une année. L’article d’équilibre, qui évalue les recettes et plafonne les charges, arrête les conditions générales de l’équilibre financier pour une année. La seule contrainte pour le gouvernement est que si en cours d’année, les grandes lignes de l’équilibre économique et financier définies par la loi de finances sont modifiées par un événement imprévu (une crise économique par exemple), alors il doit obligatoirement mettre en œuvre une loi de finances rectificatives (LFR).
Malgré son rappel dans l’art. 1er LOLF, la notion d’équilibre conserve toutefois une dimension normative faible :
“les lois de finances déterminent, pour un exercice, la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’État, ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte.”
Il faut entendre par cette notion d’équilibre, l’idée que l’incertitude doit être réduite concernant l’évolution des dépenses. Avec la LOLF, l’équilibre budgétaire inclut les fonds de concours et les plafonds d’emplois autorisés. Les recettes budgétaires et les prélèvements sur recette doivent faire l’objet d’une évaluation sincère à l’état A. En outre, les dépenses et les autorisations d’emplois doivent être plafonnées. Cette notion d’équilibre ne comporte donc pas de mesures contraignantes sur l’équilibre réel (contrairement à ce qui prévaut pour les collectivités locales) des finances de l’Etat, mais un simple encadrement des déficits susceptibles de survenir en cours d’année.
2/ L’aspect peu contraignant du principe d’équilibre est l’objet de remises en cause.
a) De fait, depuis 1965, seuls 4 budgets ont été exécutés en équilibre (1970, 1972, 1973, 1974). Il faut distinguer, en effet, deux équilibres différents :
- l’équilibre de présentation (ou prévisionnel) : il ne figure que dans la loi de finances initiale (LFI), il est donc discuté par les parlementaires et corrigé par les lois de finances rectificatives (LFR). Comme la présentation de la loi de finances est un moment-clef de la vie politique, la présence de déséquilibres est évidemment source de commentaires et de critiques de la part des responsables politiques et de la presse ;
- l’équilibre d’exécution : il s’agit de l’équilibre constaté par la loi de règlement (LR), une fois l’année écoulée et le budget exécuté. Si l’équilibre est dépassé, comme il n’est plus possible d’y remédier, il n’intéresse plus ni les responsables politiques, ni la presse, ni l’opinion publique.
S’il a donc existé une tendance à présenter les budgets en équilibre et à les exécuter en déséquilibre, le principe de sincérité budgétaire que fait appliquer le Conseil constitutionnel, peut constituer une certaine atténuation de cette tentation. De même, la mise en place de la LOLF et le contrôle du Conseil constitutionnel permettent de lutter contre la débudgétisation, technique qui permettait de transférer d’importantes dépenses d’investissement de l’Etat (par exemple pour la construction des autoroutes) vers des comptes spéciaux ou la Caisse des dépôts et consignation, ce qui conduisait à ne plus les faire apparaître dans le budget de l’Etat.
b) Il apparaît néanmoins nécessaire à certains d’encadrer davantage l’équilibre budgétaire, par exemple en inscrivant dans la Constitution, à la manière de ce qui s’est fait en Allemagne en 2009, une règle de limitation des déficits. Le rapport de la commission Camdessus chargée de réfléchir à une réforme constitutionnelle pour réduire les déficits publics français, et remis au Premier ministre en 2010, propose ainsi la création d’une “règle constitutionnelle d’équilibre” encadrant plus strictement dépenses et recettes publiques. Celle-ci serait suivie d’une loi-cadre de programmation des finances publiques, s’imposant aux lois de finances et de financement de la Sécurité sociale. Sous le contrôle du Conseil constitutionnel, elle fixerait une trajectoire impérative de réduction des déficits et une date de retour à l’équilibre structurel des finances publiques. En cas d’écart, le gouvernement aurait l’obligation de prendre des mesures de redressement au plus tard dans les deux ans. Elle serait donc plus contraignante que les lois de programmation actuelle, dont la portée juridique reste assez limitée.
Toutefois, ce projet prend aujourd’hui des allures alambiquées venant renforcer la complexité de l’ordre juridique. Dans la hiérarchie des normes, la création d’une nouvelle catégorie de textes dénommés lois-cadres d’équilibre des finances publiques (LCEFP) viendrait s’intercaler entre les lois organiques (notamment la LOLF) et les lois ordinaires (LFI, LFR, LR). Les LCEFP détermineraient ainsi sur un délai de trois à cinq ans l’effort budgétaire à réaliser pour rééquilibrer durablement les comptes publics respectueux des engagements européens. Les lois de finances ne pourront pas être adoptées sans une LCEFP applicable à l’année concernée et auront désormais le monopole des dispositions fiscales (y compris pour les impôts perçus par les collectivités territoriales) et des recettes de la sécurité sociale, qui ne seront donc plus dispersées dans des textes épars.
Outre cette complexification juridique, la commission Camdessus ne s’est pas estimée compétente pour fixer une date à laquelle le retour à l’équilibre devra s’effectuer, ce qui laisse sur ce sujet pleine responsabilité au gouvernement, et rend donc l’équilibre dépendant de l’alternance politique. Elle a également estimé que la création d’un comité de consultation d’experts indépendants qui aurait éclairé le gouvernement et le Parlement sur la conformité des hypothèses retenues aux objectifs de retour à l’équilibre aurait ressemblé à un gouvernement des sages et ne pouvait donc pas sérieusement être envisagé. Ce flou laisse donc encore une importante marge de manoeuvre aux différents gouvernants.
*Document à consulter : Rapport de la Commission Cambdessus (2010).