Le fait majoritaire

Le fait majoritaire en droit constitutionnel français est une expression qui désigne l’existence d’une majorité soutenant à la fois le président de la République et le Parlement. L’élection présidentielle de 2007 en est un bon exemple puisque les élections législatives qui suivent l’élection de Nicolas Sarkozy, lui accordent une large majorité pour gouverner.

La date de naissance du fait majoritaire remonte à 1962. La guerre d’Algérie terminée, le général de Gaulle entame une bataille politique qui va refaçonner la Ve République. La fondation de la Ve République en 1958 s’appuie sur un compromis entre plusieurs partis. Conformément à la vision gaullienne énoncée dans le Discours de Bayeux du 16 juin 1946, elle confère plus de poids au Président qui n’est plus élu par le Parlement, mais par un collège électoral de 80 000 membres. Quant au Parlement, il n’est plus élu à la proportionnelle, mais avec un nouveau type de scrutin permettant de faire émerger une majorité cohérente qui incite aux alliances politiques. La Ve République organise donc une bipolarisation de la vie politique française. Elle ne va cependant pas assez loin pour de Gaulle, qui souhaite renforcer la bipolarisation en instaurant l’élection du président de la République au suffrage universel direct.

Dans l’histoire constitutionnelle française, ce type d’élection du Président ne va pas de soi. En effet, la IIe République prévoyait déjà l’élection présidentielle au suffrage universel masculin. Mais elle met au pouvoir Louis-Napoléon Bonaparte, le neveu de Napoléon, qui finit par restaurer au moyen d’un coup d’Etat, l’Empire. Les Républicains gardent donc un souvenir assez fâcheux du suffrage universel direct et se méfient d’autant plus en 1962, lorsque son projet de restauration est défendu par le général de Gaulle dont la légitimité charismatique est indéniable. Cette volonté du général de restaurer ce mode d’élection est de permettre à la Constitution de la Ve République de lui survivre. Le suffrage universel direct doit permettre de donner une légitimité suffisante à un individu qui n’a pas la légitimité charismatique du général.

En 1962, la décolonisation est achevée, l’opposition est divisée et l’attentat manqué du Petit-Clamart donne à Charles de Gaulle un bon prétexte pour réviser la Constitution afin d’instaurer le suffrage universel direct et ainsi renforcer encore la légitimité de l’exécutif face au Parlement. Cette décision rencontre logiquement de nombreuses oppositions au sein des parlementaires, notamment à cause du fait que la loi constitutionnelle est directement proposée au référendum via l’article 11, et non pas comme le veut la procédure normale par l’article 89. Le Parlement prononce ainsi une motion de censure contre le gouvernement Pompidou, motion est immédiatement suivie de la riposte présidentielle : la dissolution de l’Assemblée nationale. Lors du référendum du 28 octobre 1962, le oui qui affronte le « cartel des non », c’est-à-dire un grand nombre de partis coalisés contre de Gaulle, remporte la victoire avec 61,7% des suffrages exprimés. Ce référendum est suivi des élections législatives des 18 et 25 novembre 1962 dans lesquelles s’engage le Président de la République, et qui voient la victoire d’une majorité de députés favorables à sa politique. C’est l’acte de naissance du fait majoritaire : une majorité forte émerge soutenant à la fois le Président et le Gouvernement via le Parlement. Il installe ainsi au pouvoir un Président fort qui bénéficie d’une majorité au Parlement lui permettant de diriger le pays.

Selon Pierre Avril, le fait majoritaire constitue l’ « épine dorsale du régime » de la Ve République. En instaurant l’élection au suffrage universel direct, De Gaulle révèle quelle est la véritable nature du régime de la Ve République : un régime parlementaire. Paradoxe pour une révision qui renforce la légitimité présidentielle ? Non, car un régime parlementaire est un régime où l’exécutif est responsable devant le législatif, ce qui est le cas dans la Ve République. Cette responsabilité de l’exécutif est politique puisque ce n’est pas l’élection présidentielle qui donne au Président une forte marge d’action, mais bien les élections législatives. L’originalité du système français est d’ailleurs d’être à géométrie variable : selon que le Parlement est ou non du parti du Président, c’est-à-dire selon qu’il y a ou non une cohabitation, le Président peut être soit tout puissant, soit pratiquement impuissant.