Le principe du droit au recours

Le principe du droit au recours est un principe général du droit (PGD) à valeur constitutionnelle qui permet d’assurer aux citoyens la possibilité de contester les décisions prises à leur égard. Il s’agit par ailleurs d’une caractéristique essentielle de l’Etat de droit. Deux limitations à ce principe existent néanmoins en ce qui concerne les mesures d’ordre intérieur et les actes de gouvernement.

1/ La jurisprudence a dégagé trois PGD qui garantissent le droit au recours sous trois formes :

  • le recours administratif ; 
  • le recours pour excès de pouvoir ; 
  • le recours en cassation. 

A/ Le recours administratif désigne le recours que les citoyens peuvent faire sans passer par le juge. Il peut être :

  • gracieux : il se fait devant l’autorité dont elle émane ; 
  • hiérarchique : il se fait devant le supérieur de celle-ci. 

Ces deux types de recours sont possibles même en l’absence de texte, mais ils peuvent aussi être prévus par les textes propres à certaines procédures, voire être un préalable obligatoire à la saisine du juge. 
Dans tous les cas, tout administré a la possibilité de demander à l’autorité qui a pris une décision ou à son supérieur hiérarchique de reconsidérer celle-ci. La jurisprudence a consacré qu’il s’agissait là d’un PGD (CE, 1950, Queralt). Plus précisément, cet arrêt Queralt érige en PGD le principe du contrôle hiérarchique qui permet à l’autorité supérieure d’adresser des instructions à ses subordonnés, d’annuler leurs décisions ou de les modifier. Le pouvoir hiérarchique est le pouvoir qui s’exerce au sein de l’administration de l’Etat sur l’ensemble de ses agents. Ce pouvoir est détenu sans texte par le supérieur hiérarchique.

B/ Le recours pour excès de pouvoir (REP) désigne un recours contentieux sollicitant du juge l’annulation d’une décision administrative qui tend à violer une règle de droit. Il a pour principal effet d’assurer le respect de la légalité. 
La jurisprudence a établi que l’existence d’un REP à l’encontre de toute décision administrative était un PGD (CE, 1950, Ministre de l’Agriculture c/ Mme Lamotte). Dans cet arrêt, le CE juge qu’une loi selon laquelle une décision ne peut faire l’objet d’aucun recours administratif ou judiciaire n’exclue pas le REP qui est “ouvert même sans texte contre tout acte administratif”. Par conséquent, aucune décision administrative ne peut échapper au REP quelque soit le niveau hiérarchique de l’autorité qui a prononcé la décision.
Le REP se distingue du recours de pleine juridiction (RPJ). Dans un RPJ, le juge dispose non seulement du pouvoir d’annuler la décision, mais il peut aussi réformer la décision contestée. Contrairement au REP, le RPJ résulte obligatoirement d’un texte. La loi le prévoit fréquemment pour ce qui concerne les sanctions prises par les autorités administratives indépendantes. Le RPJ élargit les pouvoirs du juge et apporte une garantie supérieure aux administrés.

C/ Le recours juridictionnel concerne le droit au recours contre les décisions juridictionnelles (les décisions des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel qui se distinguent des décisions administratives). 
Toute décision juridictionnelle peut être contestée par voie de recours en cassation. Cette règle est un PGD reconnu par la jurisprudence (CE, 1947, D’Aillières), mais qui a fait l’objet d’une application bien avant l’arrêt d’Aillières (CE, 1904, Botta où le CE affirme ses pouvoirs comme juge de cassation des arrêts de la Cour des comptes). Elle est valable pour toutes les décisions de justice à l’exception de celles rendues par les juridictions suprêmes. 
Quelques applications :

  • CE, 1962, Canal, Robin et Godot : ce PGD est appliqué à propos de l’ordonnance du président de la République instituant une cour militaire de justice en vertu d’une loi référendaire d’habilitation qui l’autorisait à prendre par voie d’ordonnance ou de décret toute mesure d’application des accords d’Evian signé en mars 1962 (relatifs à l’indépendance de l’Algérie). Or cette ordonnance excluait expressément tout recours (y compris en cassation) contre les décisions de cette cour. Elle a donc été annulé pour méconnaissance du principe du droit au recours ; 
  • CE, 1969, L’Etang : comme pour l’arrêt Botta concernant les arrêts de la Cour des comptes, le CE se reconnaît ici une compétence de juge de cassation en s’appuyant sur le principe du droit au recours, même sans texte, à l’égard des juridictions administratives statuant en dernier ressort, au nombre desquels figure le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) statuant comme instance disciplinaire. 

Le Conseil Constitutionnel est venu conforter la jurisprudence du CE en affirmant que si la loi peut aménager les voies de recours, elle ne saurait les exclure sans méconnaître les exigences constitutionnelles (CC, 1986, Loi relative à la liberté de communication : les décisions de la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL, ancêtre du CSA) peuvent faire l’objet d’un REP (comme c’est le cas des décisions de toutes les autorités administratives).

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2/ La jurisprudence apporte des limitations au droit au recours concernant deux catégories d’actes administratifs :

  • les mesures d’ordre intérieur ; 
  • les actes de gouvernement. 

A/ Les mesures d’ordre intérieur (MOI) sont des décisions de portée limitée qui ne produisent d’effet qu’à l’intérieur des services. Elles ne modifient donc pas suffisamment l’ordonnancement juridique pour justifier un débat contentieux. Leur champ a été considérablement réduit par des évolutions de jurisprudence témoignant du souci de mieux assurer le droit au recours :

  • CE, 1992, Kherouaa : possibilité pour un élève d’un établissement scolaire de contester les mesures l’excluant temporairement ; 
  • CE, 1995, Marie : une punition de cellule d’un détenu doit désormais être considérée comme ouvrant la possibilité d’un REP ; 
  • CE, 1995, Hardouin : une punition infligée aux militaires telle que la mise aux arrêts ouvre également la possibilité d’un REP. 

Pour les détenus, trois arrêts marquent une étape supplémentaire. En considération des effets sur la situation des intéressés, le droit au recours est ouvert contre certaines décisions d’affectation telles que :

  • CE, 2007, Garde des Sceaux c/ Bassouar : le transfert d’un établissement pour peines à une maison d’arrêt ; 
  • CE, 2007, Planchenault : le retrait d’emploi ; 
  • CE, 2007, Payet : l’application d’un régime particulier de sécurité. 

B/ Les actes de gouvernement désignent tous les actes qui sont insusceptibles d’être discutés par voie contentieuse. Cette catégorie d’acte juridique a été réduite progressivement par une évolution jurisprudentielle dont le début peut être fixé à CE, 1875, Prince Napoléon où le CE a abandonné la conception large qui définissait les actes de gouvernement comme toute mesure prise pour motif politique. 
Deux types de décisions continuent toutefois de relever de cette catégorie : 

  • celles concernant certaines décisions prises par le président de la République ; 
  • celles non détachables des relations internationales. 

a) Parmi les décisions prises par le président de la République, il faut citer :

  • la mise en application de l’art. 16 C concernant les pouvoirs exceptionnels (CE, 1962, Rubin de Servens) ; 
  • la mise en application de l’art. 11 C concernant l’organisation d’un référendum (CE, 1962, Brocas); 
  • la mise en application de l’art. 12 C concernant la dissolution de l’Assemblée nationale (CE, 1989, Allain) ; 
  • la nomination d’un membre du Conseil constitutionnel (CE, 1999, Mme Ba). 

b) Concernant les décisions non détachables des relations internationales, il faut mentionner :

  • CE, 1992, GISTI et MRAP : une circulaire qui prescrit le refus d’inscription aux établissements universitaires de tout étudiant irakien pendant la guerre du Golfe ; 
  • CE, 1995, Association Greenpeace France : la reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique ; 
  • CE, 2003, Comité contre la guerre en Irak : l’autorisation donnée aux avions anglo-américains de survoler le territoire national durant la guerre en Irak. 

Si l’application des actes de gouvernement continue d’être une catégorie utilisée, elle tend à se réduire comme celle des MOI. Par exemple, avec CE, 1998, SARL du parc d’activité de Blotzheim, la décision de ratification d’un traité peut désormais faire l’objet d’un contrôle de régularité. 
Par conséquent, ces deux limitations ne remettent pas en cause un droit au recours dont la jurisprudence a reconnu l’existence et dont l’efficacité est, en pratique, garantie.