La responsabilité pénale des gouvernants

La responsabilité pénale des gouvernants – président de la République, Premier ministre et membres du gouvernement – obéit à des règles spécifiques. Avant la révision constitutionnelle de 1993, la Constitution de 1958 confiait à la Haute Cour de justice (HCJ), la compétence pour connaître des actions pénales engagées contre les gouvernants à raison de faits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Avec la loi constitutionnelle de 1993, une nouvelle Cour est créée, la Cour de justice de la République (CJR) qui a pour fonction de juger les infractions pénales commises par le Premier ministre ou les autres membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. La Haute Cour de Justice (HCJ) a continué un temps d’exister pour traiter les accusations de haute trahison envers les représentants de l’État tels que le président de la République et les ministres. Depuis la révision de 2007, elle a été remplacée par une Haute Cour (HC) chargée de juger le président de la République en cas de manquement grave à ses devoirs. 

1/ La Cour de justice de la République (CJR) juge les infractions commises par le Premier ministre et les membres du gouvernement pendant l’exercice de leurs fonctions. 

A/ La CJR a été créée par la révision constitutionnelle de 1993 suite à l’affaire du sang contaminé. Son statut et ses attributions sont fixés aux art. 68-1 et 68-2 C.
Aux termes de l’art. 68-1 C,

les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis”

Aucun régime d’exception ne leur est applicable puisque la CJR

“est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu’elles résultent de la loi”.

L’art. 68-2 C précise la composition de la CJR. Elle comprend 15 juges répartis ainsi :

  • 12 parlementaires élus (6 députés et 6 sénateurs élus par chaque chambre après chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées) ;
  • 3 magistrats du siège à la Cour de cassation, dont l’un préside la CJR.

Les plaintes sont filtrées par une commission des requêtes composée de :

  • 3 conseillers à la Cour de cassation (dont l’un préside la commission) ;
  • 2 conseillers d’Etat ;
  • 2 conseillers-maîtres à la Cour des comptes.

Si la commission des requêtes estime qu’il y a lieu de saisir la CJR, elle transmet le dossier au Procureur général près la Cour de cassation, chargé du ministère public devant la CJR. L’art. 68-2 C précise que “toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions peut porter plainte auprès d’une commission des requêtes”. Le procureur général près la Cour de cassation peut aussi saisir d’office la CJR sur avis conforme de la commission des requêtes.
Une fois la CJR saisit par le procureur, l’instruction est assurée par une commission d’instruction composée de trois magistrats de la Cour de cassation. Sur renvoi de cette commission, l’affaire est enfin jugée par la CJR.
Cette procédure permet de garantir le Premier ministre et les membres du gouvernement contre une pénalisation excessive de la vie politique qui pourrait être préjudiciable à l’action publique.

B/ Quelques affaires ont été jugées par la CJR :

  • en 1999, la CJR siège pour la première fois dans l’affaire relative au sang contaminé. Elle a relaxé le Premier ministre de l’époque (Laurent Fabius, entre 1984 et 1986) ainsi que le Ministre des Affaires sociales et de la Solidarité (Georgina Dufoix) et n’a prononcé qu’une sanction de principe, sans exécution de peine, à l’égard du secrétaire d’Etat à la santé, Edmond Hervé (il a été déclaré coupable, mais dispensé de peine parce qu’il n’avait pas pu, pendant la longue affaire du sang contaminé, bénéficier totalement de la présomption d’innocence ) ;
  • en 2000, la CJR a relaxé Ségolène Royal accusé de complicité de diffamation envers deux enseignants. Elle a considéré que “le fait de reprocher à des enseignants, aisément identifiables, d’avoir permis la commission d’actes de bizutage est de nature à porter atteinte à leur honneur et à leur considération”, mais elle estime que la ministre a toutefois rapporté “la preuve parfaite, complète et corrélative des faits qu’elle impute aux plaignants” ;
  • en 2004, la CJR a condamné Michel Gillibert (secrétaire d’État aux handicapés entre 1988 et 1993) pour escroquerie au préjudice de l’État (détournement de 1,3 millions d’euros). Une peine de trois ans d’emprisonnement avec sursis, 20 000 € d’amende et 5 ans d’inéligibilité et d’interdiction de vote ont été prononcés ;
  • en 2009, Charles Pasqua (ancien ministre de l’Intérieur) a été renvoyé devant la CJR en vertu de trois chefs d’accusation : “complicité et recel d’abus de biens sociaux” dans le transfert du siège de GEC-Alstom ; “corruption passive par une personne dépositaire de l’autorité publique” dans l’affaire du casino d’Annemasse ; “complicité et recel d’abus de biens sociaux” dans le dossier de la Sofremi. Le procès a eu lieu en avril 2010 : 4 ans de prison ont été requis, mais il a été relaxé pour les deux premières affaires et condamné à une année avec sursis dans celle de la Sofremi ;
  • à noter que l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin a souhaité que l’instruction de l’affaire “Clearstream” au cours de laquelle il a été poursuivi se déroule devant des juridictions pénales de droit commun sans que la CJR soit saisie.
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2/ La Haute Cour de Justice (HCJ) a été à l’origine créée pour traiter des accusations de haute trahison envers les gouvernants, mais a été remplacée en 2007 par une Haute Cour qui juge désormais le Président en cas de manquement grave à ses devoirs.  

A/ Depuis 1875, sous la IIIe République, elle est composée de parlementaires des deux assemblées. Elle traite aujourd’hui du manquement au devoir incompatible avec les fonctions du Président de la république. La totalité du titre IX lui est consacré. Il est composé de deux articles : l’art. 67 et 68 C.
L’art. 67 C prononce l’irresponsabilité du président de la République

“le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68”. 

L’art. 53-2 C dispose que “la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998” et l’art. 68 C est relatif à la procédure de destitution. 
L’art. 67 C précise également que le président ne peut pas “durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite”. Les délais de prescription ou de forclusion sont suspendus durant son mandat, mais les instances et les procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle, peuvent être reprises ou engagées “un mois suivant la cessation des fonctions”.
Cette rédaction provient de la révision constitutionnelle de 2007. La Constitution consacre l’immunité pénale du président de la République durant son mandat, immunité pénale qui avait été auparavant dégagée par la jurisprudence du fait de l’ambiguïté de la rédaction initiale des articles du titre IX. Deux arrêts ont marqué cette construction jurisprudentielle :

  • CC, 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale : le président de la République ne peut pas faire l’objet d’une poursuite pénale pendant la durée de son mandat, exception faite du cas de haute trahison dont il appartient à la Haute Cour seule de connaître ;
  • Cass, 2001, Breisacher : cet arrêt consacre une nouvelle fois l’immunité présidentielle et ajoute que la durée de la prescription se trouve suspendue pendant le mandat présidentiel et des poursuites peuvent donc être engagées à l’issue de celui-ci.

L’irresponsabilité présidentielle est absolue et permanente : elle est valable à la fois dans les domaines politique, pénal, civil et administratif. En outre, aucune action ne peut être engagée contre le chef de l’État pour des actes accomplis en qualité de président, même après la fin de son mandat. Pour les actes du chef de l’État qui ne relèvent pas de l’exercice des fonctions présidentielles, le président ne peut pas faire l’objet d’une procédure judiciaire ou administrative pendant la durée de son mandat. Il bénéficie donc d’une “inviolabilité”, dont les parlementaires étaient jusqu’à la révision de 2007 les seuls à disposer (art. 26 C). Cette inviolabilité est complète (elle couvre les domaines pénal, civil et administratif), mais temporaire, puisqu’elle prend fin un mois après le terme du mandat présidentiel.
L’art. 67 C énonce deux exceptions à cette irresponsabilité puisque le chef de l’État peut être :

  • poursuivi devant la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité (art. 53-2 C) ;
  • soumis à une procédure de destitution en cas de manquement à ses devoirs (art. 68 C).

B/ L’art. 68 C définit les conditions de destitution du président de la République qui :

“ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat

Cette formulation remplace la notion de haute trahison avec la révision de 2007 conformément aux préconisations de la commission Avril réunie en 2002 par Jacques Chirac. Présidée par Pierre Avril, cette commission avait pour mission de réfléchir au statut pénal du chef de l’État : elle a suggéré de confirmer “l’immunité temporaire” du chef de l’État pendant l’exercice de ses fonctions (principe déjà dégagé par la jurisprudence), mais d’introduire une procédure de destitution en contrepartie. Elle a été suivie sur ces deux points en 2007.
L’art. 68 C définit également les modalités de la procédure de réunion de la Haute Cour. La Haute Cour désigne en réalité la constitution du Parlement en juridiction (avant la révision de 2007, elle était composée de 12 députés et 12 sénateurs désignés au moment de leur entrée en fonction). Seul le Parlement réuni en Haute Cour peut à présent destituer le président de la République. Pour cela, la proposition de réunion de la Haute Cour doit être adoptée par chacune des deux assemblées à la majorité des deux tiers et la destitution prononcée selon la même majorité par les deux chambres réunies. Dans les deux cas, toute délégation de vote est interdite et seuls les votes favorables sont recensés. 
Ces règles de majorité renforcée visent à prémunir contre tout risque d’utilisation de la procédure pour des motifs de simple opposition politique. La Haute Cour est présidée par le président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat.

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La nouvelle rédaction de cet art. 68 C conduit à un élargissement de la responsabilité du chef de l’Etat qui peut-être destitué en cas de haute trahison, mais aussi plus généralement, pour tout manquement à ses devoirs de président de la République.