Le principe d’universalité désigne le rassemblement en une seule masse de l’ensemble des recettes publiques sur laquelle doit s’imputer l’ensemble des dépenses publiques. Selon le Conseil constitutionnel (CC, 1982, Loi de finances pour 1983), le principe d’universalité possède deux fonctions :
- une fonction technique : il assure la clarté des comptes de l’Etat ;
- une fonction politique : il permet un contrôle efficace du Parlement.
Le principe d’universalité est énoncé à l’art. 6 LOLF : “le budget décrit, pour une année, l’ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l’Etat. Il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses”. Par conséquent, le budget :
- décrit l’ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l’Etat ;
- prévoit qu’il est fait recette du montant intégral des produits sans contraction entre les dépenses et les recettes ;
- prévoit que l’ensemble des recettes assure l’exécution de l’ensemble des dépenses.
1/ Le principe d’universalité ressemble au principe d’unité selon lequel les dépenses et les recettes de l’Etat doivent figurer dans un seul document budgétaire. Mais contrairement au principe d’unité, le principe d’universalité porte sur le contenu de l’autorisation parlementaire. Il implique donc deux exigences :
- la non-compensation : recettes et dépenses doivent être inscrites au budget pour leur montant intégral, sans contraction entre les unes et les autres ;
- la non-affectation : à l’intérieur du budget, les recettes et les dépenses constituent deux parties autonomes, aucune recette ne doit donc être affectée à une dépense particulière.
a) L’exigence de non-compensation signifie que toutes les dépenses et toutes les recettes doivent être inscrites au budget pour leur montant intégral. Par conséquent :
- la méthode utilisée est celle du budget brut : le budget net étant le solde après contraction des dépenses et des recettes. Cette méthode du budget brut empêche un service public de présenter des prévisions de dépenses défalquées (c’est-à-dire retranchées d’une somme d’argent) des recettes escomptées. Le Parlement se prononce ainsi sur les recettes et les dépenses, et non pas seulement sur le solde ;
- les administrations ne peuvent pas se procurer par elles-mêmes des ressources qui ne leur seraient pas attribuées par le Parlement : comme toute dépense est imputée sur le montant des crédits disponibles, toute recette sera reversée au budget général et non pas directement à l’administration en question.
Dans CC, 1994, Loi de finances pour 1995, le transfert à un établissement public, en l’espèce le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), de la prise en charge de la majoration de pensions versées à certains fonctionnaires retraités a été déclaré non conforme à la Constitution, au motif que les dépenses concernant les agents de l’Etat (rémunérations, pensions) présentent par nature un caractère permanent : elles ne peuvent donc pas être inscrites ailleurs qu’au sein du budget de l’Etat.
b) L’exigence de non-affectation signifie qu’une recette ne peut pas être affectée au financement d’une dépense particulière. Toutes les recettes sont indistinctement destinées à la couverture de l’ensemble des dépenses inscrites au budget. Il n’y a donc pas en principe de spécialisation des recettes. Par conséquent :
- les autorisations de dépenses s’effectuent sur un montant déterminé : l’affectation d’une recette à une dépense conduirait au contraire à une nécessaire variation des dépenses qui serait fonction, chaque année des recettes ;
- les gaspillages sont en principe évités : une administration ne peut pas disposer de plus de ressources que celles dont elle a besoin ;
- l’arbitrage de l’Etat peut se faire en fonction de l’intérêt général : il réalise un arbitrage global de l’affectation des ressources dont il dispose.
Si, sur le plan politique, il arrive qu’un impôt nouveau soit justifié par la nécessité de financer une action particulière (par exemple la création de la vignette auto en 1956 pour financer des mesures sociales en faveur des personnes âgées ou l’Impôt solidarité sur la fortune en 1988 pour financer le RMI), sur le plan juridique, il n’existe aucun lien nécessaire entre une recette fiscale perçue par l’Etat et une dépense budgétaire (le financement du RMI ne dépend pas du produit de l’ISF). Cette exigence présente néanmoins des inconvénients du fait de son caractère potentiellement improductif :
- elle peut favoriser l’inertie administrative : les administrations ne sont pas incitées à développer des recettes accessoires puisqu’elles n’en bénéficieront pas ;
- elle dissimule au citoyen l’intérêt du prélèvement auquel il est assujetti : une spécialisation des recettes lui permettrait au contraire de comprendre pourquoi il paie et renforcerait la légitimité de l’impôt ou son efficacité socio-économique (taxe sur les tabacs et alcool pour financer la lutte contre le cancer par exemple).
Dans CC, 1993, Loi quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle : l’affectation au profit d’organismes sociaux d’une partie des droits de consommation sur les tabacs (recette de l’Etat) pour compenser une charge supportée par les caisses d’assurance vieillesse est jugée contraire au principe d’universalité budgétaire. En effet, l’affectation de tout ou partie d’une dépense déterminée est interdite (sous réserve des exceptions prévues par l’Ordonnance de 1959).
La LOLF, tout en réaffirmant le principe de l’universalité budgétaire, le renforce également en étendant ce principe à la loi de finances elle-même puisque doit y figurer, désormais, tous les flux financiers ainsi que les actifs et la dette de l’Etat. Le Parlement contrôle à présent toutes les dépenses qui sont financées par prélèvements obligatoires, à l’exception de celles des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale (même s’il exerce un contrôle via le vote de la loi de financement de la sécurité sociale).
2/ Le principe d’universalité connaît quelques exceptions à ses deux exigences de non compensation et de non affectation.
a) Les dérogations à l’exigence de non-compensation : outre l’exception des comptes spéciaux, il faut mentionner la dérogation la plus importante qui est celle des prélèvements sur recettes (PSR), c’est-à-dire des sommes qui sont déduites du montant brut de l’ensemble des recettes et affectées à un type de dépenses spécifiques :
- les PSR au profit des collectivités territoriales représentent 85 Mds € en 2010 (qui sont en forte hausse, mais qui comprennent pour 32 Mds € la compensation pour suppression de la taxe professionnelle) ;
- les PSR au profit de l’Union européenne représentent 18 Mds € en 2010.
b) Les dérogations à l’exigence de non-affectation : selon l’art. 16 LOLF, “certaines recettes peuvent être directement affectées à certaines dépenses. Ces affectations prennent la forme de budgets annexes, de comptes spéciaux ou de procédures comptables particulières au sein du budget général, d’un budget annexe ou d’un compte spécial”. On en trouve à la fois dans le budget général et en dehors du budget général.
Les affectations dans le budget général sont :
- les fonds de concours (art. 17 LOLF) : ce sont des procédures permettant d’ouvrir des crédits et de les affecter au paiement de certaines dépenses. Il existe 550 fonds de concours (mais 10 % d’entre eux concentrent l’essentiel des crédits) que l’on distingue en deux catégories de fonds :
- les fonds de concours par nature : fonds versés par l’UE ou les collectivités territoriales pour contribuer aux dépenses d’intérêt public de l’Etat ;
- les fonds de concours par assimilation : produit de recettes à caractère non fiscal tels que les rémunérations de services rendus par un ministère particulier pour prêt d’agents par exemple ;
- le rétablissement de crédit (art. 17 LOLF) : c’est le reversement à un service de l’Etat des sommes qu’il a indûment ou provisoirement payées et qui lui sont réaffectées (par exemple : changement d’administration d’un fonctionnaire qui perçoit deux traitements) ;
- l’affectation exceptionnelle : elle doit résulter d’une disposition de lois de finances d’initiative gouvernementale. Par exemple, une partie des droits de consommation sur les tabacs a été affectée par la loi de finances pour 1990 à la Caisse nationale d’allocations familiales, puis à la Caisse nationale d’assurance-maladie par les lois de finances pour 1993 et 1997.
Les affectations à côté du budget général sont :
- les budgets annexes : ils figurent dans la loi de finances, mais sont présentés à côté du budget général ;
- les comptes spéciaux du Trésor : figurent aussi dans la loi de finances, mais ils sont présentés à côtés du budget général et des budgets annexes. Non seulement ils peuvent déroger à l’exigence de non-compensation lorsque leurs opérations se compensent (exemple : les comptes de commerce), le Parlement ne votant alors que sur une autorisation de découvert maximum à ne pas dépasser en cours d’exercice, mais ils peuvent aussi déroger à l’exigence de non-affectation lorsqu’ils réalisent une affectation de recettes à des dépenses (exemple : les comptes d’affectation spéciale).