Le droit communautaire et la responsabilité de l’Etat

L’influence du droit communautaire a conduit à une évolution du régime de la responsabilité de l’Etat du fait des lois et des décisions de justice. Cette évolution conduit à la construction progressive d’un Etat de droit au niveau européen et vient niveler les différentes législations des Etats européens en la matière. D’une part, les Etats membres peuvent voir leur responsabilité engagée pour les lois qu’ils adoptent si celles-ci s’avèrent contraires au droit communautaire. D’autre part, leur responsabilité est engagée en cas de non respect de l’art. 6 § 1 CEDH relatif au procès équitable ou si les décisions juridictionnelles sont en contradiction avec le droit communautaire.

1/ La jurisprudence de la CJUE exprime des exigences concernant la responsabilité des Etats membres pour les lois qu’ils adoptent. 

A/ Pour la CJUE, la non transposition d’une directive en droit interne engage la responsabilité des Etats et ouvre à leur encontre une possibilité d’action (CJUE, 1991, Francovich).

Le droit français apporte une réponse à cet arrêt de la CJUE un an plus tard, en jugeant que la responsabilité de l’Etat est effectivement engagée par la mise en application de dispositions législatives incompatibles avec les orientations d’une directive (CE, 1992, Sociétés Rothmans international et Philip Morris).

B/ En 2007, l’arrêt Gardedieu donne une portée générale à cette jurisprudence en consacrant la responsabilité de l’Etat du fait des lois indépendamment de toute mesure administrative d’application.

Dans la jurisprudence, la responsabilité de l’Etat en cas de dommages causés par l’exercice du pouvoir législatif pouvait déjà être engagée pour cause de rupture de l’égalité devant des charges publiques, mais pour cela, le dommage devait revêtir un caractère anormal et spécial (CE, 14 janvier 1938, Société anonyme des produits laitiers La Fleurette).

Désormais, avec l’arrêt Gardedieu, cette responsabilité peut être engagée sans que soit exigé ce double caractère anormal et spécial. Dès lors que l’adoption d’une loi méconnaît les engagements internationaux de l’Etat français, l’entier préjudice est réparable (CE, 2007, Gardedieu).

2/ En ce qui concerne la responsabilité de l’Etat du fait des décisions de justice, le droit européen conduit à atténuer les principes posés par l’arrêt Darmont exigeant une faute lourde pour que soit ouvert un droit à indemnité. 

A/ Selon l’arrêt Darmont, “en vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d’ouvrir droit à indemnité” (CE, 1978, Darmont). Par conséquent, seule une faute lourde commise par une juridiction administrative durant une procédure de jugement engage la responsabilité de l’Etat, dès lors que cette faute ne résulte pas d’une décision juridictionnelle définitive.
Selon la CEDH, “toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial” (art. 6 § 1 CEDH). Afin de répondre à cette exigence de délai raisonnable du jugement (appréciée en regard de la difficulté de l’affaire), le CE estime que tout requérant peut obtenir réparation d’un préjudice résultant de la durée excessive d’une procédure, lorsque cette durée traduit un “fonctionnement défectueux du service public de la justice”. Elle ouvre un droit automatique à réparation (CE, 2002, Magiera). En l’espèce, M. Magiera a dû attendre sept ans et demi pour obtenir le jugement d’un dossier qui ne présentait aucune difficulté particulière d’examen.

B/ De surcroît, tout en reprenant les conditions d’engagement de responsabilité développées dans ses arrêts précédents (CJUE, 1991, Francovich et CJUE, 1996, Brasserie du Pêcheur), la CJUE affirme que la responsabilité d’un Etat membre peut être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle, même devenue définitive, est entaché d’une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits à des particuliers (CJUE, 2003, Köbler).

Afin de suivre les règles énoncées dans cette décision Köbler, le CE juge que, même lorsque une décision juridictionnelle définitive est en cause (par exemple une décision du CE lui-même), la responsabilité de l’Etat peut être engagée en cas de méconnaissance manifeste du droit communautaire (CE, 2008, Gestas).

C/ La double atténuation que constituent l’arrêt Magiera (droit automatique à réparation pour dépassement d’un délai raisonnable de jugement) et l’arrêt Gestas (responsabilité de l’Etat engagé en cas de méconnaissance manifeste du droit communautaire) montre toutefois que la jurisprudence Darmont n’est pas abandonnée 

  • le dommage causé par le contenu d’une décision de justice devenue définitive n’est pas réparable ; 
  • le dommage résultant de l’exercice de la fonction juridictionnelle n’est réparable que s’il résulte d’une faute lourde, sauf dans le cas Magiera où une faute simple suffit si la justice n’a pas rendu son jugement dans un délai raisonnable. 
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