La liberté contractuelle des personnes publiques


La liberté contractuelle renvoie à la possibilité laissée aux individus de définir eux-mêmes les termes de leurs propres contrats ainsi que les personnes avec lesquelles ils souhaitent contracter. Elle est énoncée à l’art. 1134 du Code civil

“les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites”. 

En ce qui concerne les personnes publiques, c’est-à-dire les groupements dotés d’une personnalité morale de droit public tels que les collectivités territoriales, les établissements publics ou les entreprises publiques, le principe de la liberté contractuelle existe, mais connaît quelques aménagements :

  • à la différence des personnes de droit privé, les personnes publiques ont le pouvoir de prendre des décisions unilatérales ; 
  • le contrat suppose une égalité entre les partenaires, alors que l’administration se trouve dans un rapport inégalitaire par rapport à ses administrés du fait qu’elle a la charge de l’intérêt général.

1/ Les personnes publiques disposent d’une liberté contractuelle spécifique qu’elles utilisent de plus en plus pour mettre en place des politiques publiques. 

A/ Les personnes publiques peuvent passer deux types de contrat :

  • les contrats de droit privé : ils sont passés dans les conditions du droit commun, régis par le Code civil et leur contentieux relève des juridictions judiciaires ;
  • les contrats administratifs : ils ont un régime propre placé sous le contrôle du juge administratif.

Le contrat administratif se définit par :

  • ses parties : il unit des parties dont l’une au moins est une personne publique, sachant qu’un contrat conclu entre deux personnes publiques est un contrat administratif quelles que soient ses clauses, à moins que les deux parties aient souhaité ne pas se placer sous le régime de droit commun (TC, 1983, UAP) ;
  • ses clauses : il comporte des clauses qui soit 
    • sont exorbitantes du droit commun (CE, 1912, Sté des granits porphyroïdes des Vosges) ; 
    • associent le cocontractant de l’administration à l’exécution du service public (CE, 1956, Ministre de l’Agriculture c/ Grimouard et époux Bertin).

Ces critères peuvent être aménagés par la loi. Par exemple, la loi MURCEF de 2001 (loi portant mesures urgentes de réforme à caractère économique et financier) a qualifié de contrat administratif tous les marchés passés en application du Code des marchés publics.

B/ Le contrat administratif repose sur un équilibre particulier, défini par une jurisprudence constante qui réaffirme :

  • le principe de continuité du service public : l’administration peut modifier unilatéralement les clauses d’un contrat dans l’intérêt général, une délégation par contrat ne constitue pas un abandon du service public (CE, 1910, Compagnie générale française des tramways) ;
  • l’équité pour le cocontractant de l’administration : le cocontractant a droit au maintien de l’équation financière sur laquelle repose le contrat et peut bénéficier d’une indemnité d’imprévision lorsque des circonstances imprévisibles bouleversent les prévisions initiales (CE, 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux). Si les difficultés présentent un caractère définitif et rendent impossible l’exécution du contrat, la force majeure permet d’en obtenir la résiliation, le cas échéant avec indemnité (CE, 1932, Compagnie des tramways de Cherbourg).

C/ Depuis longtemps, les personnes publiques ont recours au contrat dans les domaines suivants :

  • l’achat par l’administration de biens et services ;
  • le financement de travaux publics ;
  • la gestion de service public géré par le privé ;
  • le recrutement d’agents contractuels.

En termes d’outil de gouvernement, il permet de responsabiliser davantage les cocontractants. Récemment, le contrat a donc fait son apparition dans de nombreux domaines :

  • l’action sociale (contrats d’insertion, contrat de retour à l’emploi, contrat d’accueil et d’intégration) et économique ;
  • l’aménagement du territoire,
  • le pilotage de l’action publique ;
  • la modernisation de l’Etat.

Le contrat est ainsi devenu un instrument de politique publique. Dans son rapport annuel de 2008 intitulé Le contrat, mode d’action publique et production de normes, le Conseil d’Etat souligne que son développement constitue “un des traits marquants de la vie administrative de ces trois dernières décennies et témoigne de la vitalité du droit administratif”. L’Etat y recourt dans ses relations avec les collectivités territoriales, notamment les régions (les contrats de projet Etat/région). Il passe également des contrats de performance ou contrat de service public avec les grands établissements ou les entreprises publics. Les collectivités territoriales passent des contrats entre elles pour organiser leur coopération et mener des actions communes. Et au sein même des administrations, des contrats d’objectif peuvent être utilisés pour définir les projets, mobiliser les agents et programmer les moyens.

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2/ Bien que le principe de liberté contractuelle ne soit pas reconnue comme un objectif à valeur constitutionnelle, il conserve un fondement constitutionnel auquel seule la loi peut apporter une restriction.

A/ Le principe de liberté contractuelle des personnes publiques n’est pas un principe reconnu de valeur constitutionnelle, mais la jurisprudence du Conseil constitutionnel conduit à penser qu’il existe néanmoins :

  • CC, 1994, Loi relative à la protection sociale complémentaire des salariés : “aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit le principe de la liberté contractuelle” ;
  • CC, 1997, Loi créant les plans d’épargne retraite : la méconnaissance du principe de liberté contractuelle “ne peut être invoquée que dans le cas où elle conduirait à porter atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis” ;
  • CC, 1999, Loi relative au PACS : “les dispositions générales du Code civil relatives aux contrats et aux obligations conventionnelles auront vocation à s’appliquer” au nouveau pacte. Le Code civil exprime ainsi un droit commun des contrats, ce qui signifie que le législateur ne peut pas s’affranchir du respect des stipulations contractuelles, sauf pour des motifs d’intérêt général suffisant.
  • CC, 2000, LFSS pour 2001 : la liberté contractuelle découle de l’art. 4 DDHC selon lequel “la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui”, elle a donc un fondement constitutionnel.

B/ En ce qui concerne le Conseil d’Etat, il estime qu’il existe pour les personnes publiques un principe de liberté auquel seule la loi peut apporter des restrictions (CE, 1998, Sté Borg-Wagner : les dispositions dérogeant au principe de liberté contractuelle sont d’interprétation stricte). En effet, les personnes publiques ne peuvent pas contracter en toute matière parce que, par nature, certaines questions doivent être traitées par voie de décision unilatérale, c’est le cas de :

  • la police administrative (CE, 1932, Ville de Castelnaudary) ;
  • l’organisation du service (CE, 1961, Barbaro) ;
  • lorsque le législateur prévoit que ces questions feront l’objet de décrets en CE (CE, 1978, Syndicat national de l’enseignement technique agricole public).

Le Conseil constitutionnel ajoute que la loi ne peut pas autoriser des contrats de délégation dans les “les tâches inhérentes à l’exercice par l’Etat de ses missions de souveraineté” (CC, 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice).