Les étapes de la croissance économique

Les étapes de la croissance économique renvoient à l’étude des différents trends de croissance (les grandes tendances) selon les époques ou les phases de développement. Si la croissance économique connaît aujourd’hui des niveaux jugés insatisfaisants (autour de 1,5% pour la France en moyenne), ils sont relativement élevés s’il on prend une échelle de long terme. La croissance économique est un phénomène qui n’a pas toujours suscité l’attention des pouvoirs publics. Elle a commencé à être mesurée assez tardivement et est devenue un sujet de préoccupation avec la mise en place du capitalisme au XIXe siècle. Certains auteurs ont cherché à reconstituer les différentes étapes de la croissance économique. Il reste que ces étapes peuvent varier d’un pays à l’autre, ce qui invite à les considérer davantage comme un modèle de pensée que comme une description de la réalité. 

1/ Si la croissance économique est un phénomène qui contribue au développement des pays pauvres, elle résulte d’un processus historique qui connait des différences géographiques.

A/ Dans Perspectives économiques pour nos petits enfants (1930), John Maynard Keynes affirme qu’une croissance de 2% par an équivaut à multiplier par 7 les richesses en 100 ans, ce qui augure, selon lui, une période d’abondance sans précédent. De fait, en 2030, l’ère de l’abondance aura fait disparaître la science économique, essentiellement liée à la rareté. Cette prévision n’est évidemment pas souhaitable pour un tas d’agents économiques dont l’objectif reste de persuader le consommateur qu’il a sans cesse de nouveaux besoins à satisfaire, et il l’est encore moins aux premiers concernés, à savoir les économistes eux-mêmes. Elle montre néanmoins que la croissance mondiale demeure une condition pour que les pays pauvres puissent se développer et ainsi accéder à une situation d’abondance relative.

B/ L’apparition d’une croissance durable est un phénomène concomitant à la Révolution industrielle du début du XIXe siècle. Dans L’économie mondiale : une perspective millénaire (2001), Angus Maddison conjecture que la progression du revenu moyen par habitant entre 1820 et nos jours serait trente fois supérieure à celle de l’époque moderne (1500-1820). A partir de 1820, l’industrialisation entraîne un véritable décollage de la croissance mondiale. Il dégage ainsi cinq phases différentes :

  • la mise en place du capitalisme (1820-1870) : l’Europe est alors la locomotive de la croissance mondiale grâce à la Révolution industrielle, apparue dans un premier temps en Angleterre (dès la fin du XVIIe siècle)
  • l’accélération de la croissance mondiale (1870-1913) : la deuxième révolution industrielle (moteur à explosion, électricité) rejoint l’industrialisation de pays en rattrapage (Allemagne) ;
  • le ralentissement de la croissance mondiale (1913-1950) : les deux guerres mondiales entrecoupées par la crise de 1929 annulent les gains de productivité considérable réalisée grâce aux nouvelles méthodes d’organisation du travail (taylorisme) ;
  • l’âge d’or de la croissance (1950-1973) : c’est la période où la croissance mondiale est la plus forte (les Trente Glorieuses) ;
  • le retour à la normale (1973-1998) : la croissance revient à son observé depuis deux siècles.



C/ Au plan de la dispersion de la croissance, il faut remarquer la coexistence de taux différents au sein de chaque période selon les zones géographiques. La domination de l’Europe dans un premier temps est incontestable. Elle est ensuite rattrapée et dépassée par les Etats-Unis d’Amérique. Sur la période 1950-1973, l’économie japonaise frappe les esprits par son dynamisme (la croissance annuelle moyenne du Japon est de 9,3%). Aujourd’hui, les locomotives de la croissance sont la Chine et l’Inde. Ces différences traduisent deux phénomènes possibles :

  • la convergence : les pays en situation de rattrapage parviennent à se rapprocher du pays leader par des taux de croissance plus élevés ;
  • la divergence : les écarts de richesse se creusent du fait des taux de croissance faibles des pays les moins développés.

2/ S’il est possible de dégager cinq étapes du développement économique sur un mode linéaire, des différences dans les étapes de développement peuvent surgir d’un pays à l’autre.

A/ Dans The Stages of Economic Growth: A non-communist manifesto (1960), Walt Whitman Rostow définit de manière linéaire les cinq étapes du développement économique d’un pays industriel :

  • la société traditionnelle : elle ne vit que de l’exploitation de la terre, elle est relativement hostile au progrès et les hiérarchies sociales sont rigides. Sa lente évolution l’amène progressivement à l’étape suivante ;
  • les conditions préalables au décollage : le changement est plus facilement accepté, ce qui permet à la croissance économique de dépasser la croissance démographique, grâce à la révolution agricole notamment. Des bouleversements politiques et religieux s’y produisent (la Réforme, la révolution anglaise, la guerre d’indépendance des États-Unis, la Révolution française etc.) ;
  • le décollage (ou take-off) : c’est l’étape décisive, le moment où la croissance devient un phénomène auto-entretenu. Durant une vingtaine d’années les investissements massifs dans l’industrie permettent une inflexion majeure et durable du rythme de la croissance. Le décollage provient d’une forte hausse de l’investissement, de la mise en place d’institutions politiques et sociales favorables à l’expansion (la remise en cause des corporations) et du développement de secteurs moteurs dans l’industrie qui ont un effet d’entraînement significatif en amont et répondent à une demande dynamique. Selon Rostow, le décollage se produit dès 1783 en Angleterre et est plus tardif en France (1830) et en Allemagne (1850) ;
  • la maturité : elle correspond à la seconde révolution industrielle : les niveaux de vie s’améliorent sensiblement ;
  • la consommation de masse : c’est l’étape ultime de la société, elle renvoie aux roaring twenties aux États-Unis (les années 20 marquées par la prohibition) et à l’après Seconde Guerre mondiale en Europe occidentale (Trente Glorieuses).
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B/ Dans Economic backwardness in historical perspective (1962), Alexander Gerschenkron critique la théorie de Rostow. Il regrette notamment la vision unique d’un modèle de développement qui serait valable dans tous les pays. Or certains pays tels que l’Allemagne, la Russie, les Etats-Unis ou le Japon, en connaissant des décollages plus tardifs, profitent d’un triple avantage sur les pays précurseurs :

  • l’intervention volontariste de l’Etat pour combler son retard ;
  • la protection du marché intérieur tout en développant massivement les exportations à travers une politique commerciale conquérante ;
  • la possibilité de bénéficier de l’avance technologique à travers la copie.

C/ Si entre 1970 et 1998, le rattrapage des économies développées par les pays en voie de développement est resté limité à quelques pays asiatiques (cf. les dragons asiatiques que sont la Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan), la tendance semble s’inverser depuis le début des années 2000. Une étude de l’OCDE intitulée Shifting Wealth (2010) montre que l’OCDE devrait représenter 43% du PIB mondial en 2030 (la zone hors OCDE : 57%), alors qu’elle représentait 62% en 1990 (la zone hors OCDE : 38%), ce qui traduit une réelle montée en puissance des pays en voie de développement (notamment des BRIC : Brésil, Russie, Inde, Chine).

Bibliographie