Le discours politique

Le discours politique renvoie à l’ensemble des paroles tenues publiquement par les professionnels de la politique. Il désigne donc les programmes partisans, les motions de congrès et plus généralement, les discours électoraux. Le discours politique a mauvaise réputation. La parole politique est régulièrement opposée aux actes (comme semble l’indiquer le titre d’une émission de France 2 intitulée Des paroles et des actes). Le discours politique est intimement lié à la rhétorique, c’est-à-dire à l’art de persuader par des arguments qui sont efficaces avant d’être vrais. Comme il nécessite une forte contrainte sur ce qu’il est possible de dire ou de ne pas dire, l’homme politique se voit régulièrement reprocher de faire de la langue de bois, donc de parler pour ne rien dire. Mais le discours politique a moins pour objectif de décrire la réalité que de mobiliser les citoyens afin de l’emporter dans les urnes.

1/ Le discours politique s’inscrit dans un certain nombre de contraintes qui laissent une faible marge de liberté au locuteur politique. 

A/ Pour la conception de leurs discours, les hommes politiques sont soumis à des logiques de situation. Il est possible de relever quatre éléments de contraintes : le statut du locuteur, le public, la conjoncture et le vecteur de communication.
a/ Le statut politique du locuteur détermine les attentes du public. En effet, plus le mandat est important et plus la contrainte de rôle est significative. La liberté de ton n’est pas la même selon que l’on est maire ou président de la République. Ainsi une certaine hauteur est attendue de la part du Président qui doit éviter le plus possible de parler comme tout le monde (cf. la désormais célèbre invective “casse-toi pauvre con” lancée par Nicolas Sarkozy au salon de l’agriculture en 2008, et plus largement, son langage relâché qui lui a été beaucoup reproché et qu’il a ensuite cherché à corriger).
b/ La composition du public est également à prendre en compte, il peut être :

  • homogène : les personnes présentes partagent certains attributs sur le plan professionnel et socioculturel. Dans ce cas, la communication peut être plus précise, plus technique et le discours ciblé en direction de l’auditoire (lors de discours face à des syndicalistes, face à des militants par exemple) ;
  • hétérogène : la communication doit être plus vague et le discours centré sur les attendus généraux de l’auditoire (discours télévisé, discours public, etc.). La banalité du propos doit cependant être contrebalancée par des formules bien ciselées, un certain brio rhétorique et quelques pointes assassines. Les arguments émotionnels seront à privilégier sur les analyses rationnelles, mais sans excès toutefois (il faut éviter d’en faire trop pour ne pas provoquer le mécontentement des uns en voulant satisfaire les autres).

c/ La conjoncture joue un rôle important, notamment lors des entrevues réalisées avec les médias. Les hommes politiques sont en effet sollicités pour prendre position sur l’actualité. Ils doivent alors faire les plus possible preuve de cohérence et de continuité (les archives étant susceptibles de mettre le locuteur face à ses contradictions, il faut pouvoir alors bien préparer son argumentaire pour justifier tout changement de position).
Certes, un homme politique doit savoir s’adapter à l’actualité. Mais il doit aussi veiller à entretenir son identité. Il s’agit d’éviter les virages trop brutaux dans les positions qui se trouvent affirmées pour éviter de perdre l’électeur. L’enjeu est aussi de montrer que l’on sait résister à la pression médiatique et donc de donner l’impression que l’on maîtrise la conjoncture davantage qu’on ne la subit.
Pour toutes ces raisons, il est préférable de cultiver des jugements souples, à sorties multiples, d’éviter les prises de position définitives et de pratiquer l’art de répondre vraiment qu’aux questions que l’on a soi-même préparées. L’un des stratagèmes possibles consiste à sortir de la spécificité d’un problème et de répondre à un niveau plus élevé de généralité (pas trop néanmoins pour éviter de tomber dans le flou).
Dans La communication politique (1992), Jacques Gerstlé estime que les responsables politiques détiennent une capacité d’infléchir la conjoncture. Cela a été particulièrement le cas lors de la campagne présidentielle de 2007, le candidat Nicolas Sarkozy ayant habilement réussi à utiliser les médias. Les hommes politiques peuvent intervenir de deux manières :

  • directement pour créer l’événement : déclaration solennelles, voyages officiels, prises de positions fracassantes, révélation sur une affaire, etc. ;
  • indirectement en influençant le travail journalistique de mise en scène des faits d’actualité : retenir des informations, favoriser certaines fuites, créer des liens de bienveillante connivence avec les leaders d’opinion médiatiques.

d/ Le vecteur de communication a également son importance. On n’intervient pas de la même façon lors d’un meeting ou lors d’une entrevue télévisée. En démocratie, il s’opère un travail de filtrage réalisé par les journalistes des propos tenus par les hommes politiques. Ils sélectionnent les informations qui leur semblent pertinentes et en délaissent d’autres. Le responsable politique se trouve alors dépossédé de son discours. Il peut néanmoins s’adapter aux critères professionnels du journalisme en facilitant la prise en compte de l’essentiel de son message : recherche de la formule susceptible de séduire, travail sur la limpidité du raisonnement, etc. Mais cette réappropriation demeure toujours aléatoire.
Dans Le discours politique (1998), Christian Le Bart souligne la spécificité du média télévisuel. La télévision oblige tout d’abord les professionnels de la politique à “faire court” : l’art de la “petite phrase” fait partie des figures imposées de la prise de parole politique. En outre, l’impossibilité d’évaluer les réactions du public, incite à la prudence et favorise l’émergence d’un discours attrape-tout s’adressant à tous sans fâcher personne. La télévision contribue ainsi au processus d’homogénéisation du discours : il faut faire simple et compréhensible. Le Bart donne, comme exemple, la manière de parler de Jacques Chirac. Ce dernier faisait la liaison avant de dire le mot suivant (par exemple : “les électeurs vont avoir” en prononçant le t mais en marquant un temps d’arrêt ensuite). C’est un moyen d’accomplir les liaisons imposées par le français légitime tout en ayant le souci de se faire bien comprendre du grand public.

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B/ Dans Sociologie politique (2008), Philippe Braud insiste sur les codes que le discours politique doit respecter.
a/ L’assignation : le locuteur politique attribue à chacun un positionnement dans le champ politique. Cette assignation fournit au groupe une identité qui permet de renforcer le sentiment d’appartenance des militants à une formation politique. Elle permet aussi de donner une image positive (“les défenseurs de la justice sociale”) et de l’opposer à celle des autres formations (Jean-Marie Le Pen a longtemps cherché à combattre l’appellation “parti d’extrême droite” par laquelle la presse désignait le Front national).
b/ L’entre-soi : une organisation politique affirme son identité à travers son sigle, mais aussi au moyen d’un langage spécifique, de références particulières à son passé, à des grands hommes. Les gaullistes utilisent le mot “compagnon”, les communistes et les socialistes le terme “camarade”. Une langue d’initié se développe au sein de l’organisation.
c/ La justification : dans De la Justification. Les économies de la grandeur (1991), Luc Boltanski et Laurent Thévenot estiment que la communication permet de conférer un sens légitime de l’action dans la cité de la sphère civique. Les messages se réfèrent à l’intérêt collectif : ils soulignent la pureté des buts recherchés par rapport à des motivations clientélistes, népotistes ou corporatistes. Pour fonctionner, les revendications doivent être rationalisées et retraduites en termes d’intérêt général. L’utilisation du terme “république”, par exemple dans “les valeurs de la République” ou encore “la préservation de l’ordre républicain” donne une connotation légitimatrice au discours politique.
d/ L’affirmation d’un pouvoir d’emprise : la prise de parole, surtout au nom d’une autorité (lorsqu’on est porte-parole) permet d’affirmer sa légitimité et sa compétence, à attester une maîtrise du réel ou à masquer une impuissance en donnant l’illusion de l’initiative ou en reprenant à son compte les enchaînements d’événements.
e/ La disqualification de l’adversaire : elle trouve deux terrains de prédilection :

  • la compétence dans la gestion des affaires publiques : il faut promouvoir l’image d’une équipe volontariste et attentive aux problèmes des gens. Il est bon de recourir à des données chiffrées et à des graphiques pour bien se faire comprendre (mais pas trop pour éviter de les noyer) ;
  • la bataille pour les valeurs : il faut rechercher à s’identifier aux références les plus largement consensuelles telles que la paix, la sécurité, le développement économique, le progrès social, etc. Les mots marqueurs qui affirment une supériorité morale sont particulièrement importants (par exemple : s’inscrire comme “modernisateur”, c’est renvoyer les opposants à leur archaïsme).

2/ Si le locuteur politique peut jouer sur la fibre émotionnelle pour influencer ceux qui l’écoutent, le discours politique contribue à l’éducation citoyenne et donne une consistance à la démocratie. 

A/ Dans Le Discours politique. Les masques du pouvoir (2005), Patrick Charaudeau rappelle que tout discours politique est, depuis l’Antiquité grecque, constitué de trois composantes :

  • l’argumentation rationnelle (le logos) ;
  • l’image de soi que le locuteur construit pour influencer son auditeur (l’ethos) ;
  • l’émotion véhiculée (le pathos).

Il estime que le discours politique “s’est progressivement déplacé du lieu du logos vers celui de l’ethos et du pathos, du lieu de la teneur des arguments vers celui de leur mise en scène”. Dès lors, selon lui, “l’affectif tient lieu d’idéologie”, comme en témoigne la campagne présidentielle de 2002 centrée sur le thème de l’insécurité. Une des difficultés actuelles de l’argumentation politique serait liée à la fusion de certains imaginaires sociaux : la droite aurait adopté une partie du discours social de la gauche, tandis que la gauche aurait intégré une partie du discours économique de la droite. Il en résulterait un certain brouillage dans l’opinion publique.
Dans Le discours politique (1998), Christian Le Bart souligne que le registre émotionnel (rire, fierté, peur, haine) contribue à provoquer dans l’auditoire l’impression de partager quelque chose d’intense et favorise la cohésion du groupe. Il en va de même de l’identification d’instances extérieures à la communauté.
C’est Carl Schmitt qui est à l’origine de la réflexion sur la désignation d’un ennemi comme fondement de la cohésion d’un groupe. Dans La notion de politique. Théorie du partisan (1932), il estime que l’objet spécifique de la politique est selon lui la distinction ami/ennemi. Il écrit notamment que le politique est “ce qui est censé être atteint, combattu, contesté et réfuté”. Dans Le bouc émissaire (1982), René Girard reprend cette idée et souligne que la désignation d’un ennemi commun va constituer un ciment efficace pour construire un groupe : la dramatisation des périls extérieurs permet de discréditer toute opposition interne, au motif qu’elle profite objectivement à l’adversaire.

B/ Le marketing politique et l’intervention croissante des conseillers en communication dans le discours politique ont pu conduire à sa standardisation. Plusieurs règles d’énonciation sont préconisées : “règle des 4 C” (être clair, court, cohérent, crédible), vitesse d’élocution entre 130 et 150 mots par minute, enfermement dans les 2 000 mots du “français fondamental”, disqualification de l’agressivité verbale, etc. Cette simplification est parfois fustigée comme un élément d’abêtissement du niveau des débats politiques.
Mais en démocratie, le discours politique contribue aussi à l’éducation. Il apporte des arguments pour nourrir le débat public. Contrairement aux Etats totalitaires où il vise uniquement la propagande de la politique du régime, il a aussi un rôle pédagogique et favorise le développement de la liberté de penser. Dans Le système totalitaire (1972), H. Arendt explique que l’idéologie totalitaire se caractérise justement par une indifférence aux réfutations des faits. La toute-puissance du dictateur transforme les énoncés les plus irréalistes en self-full prophethies. La ligne de séparation entre langage totalitaire et langage démocratique est ici très nette.
De manière générale, le discours politique en démocratie est contraint par l’idée de consensus. Pour pouvoir réunir un nombre important de suffrages, il faut rassembler. Cela signifie qu’un discours trop clivant risque d’entraîner des défections au sein même du parti du candidat. Ce phénomène apparaît clairement dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle où les deux candidats, après avoir mobiliser leurs soutiens en utilisant le vocabulaire clivant de leur parti, se recentrent, voire se dépolitisent, afin d’attirer un plus grand nombre de suffrages qu’au premier tour. Dans ces cas précis, la meilleure solution consiste à définir les options politiques de manière ternaire en suivant la stratégie du ninisme : “ni isolement, ni ouverture incontrôlée des frontières”, “ni démagogie, ni faiblesse”, etc. Cette technique rhétorique postule l’existence d’une troisième voie qui est celle du juste milieu entre des excès contraires (ceux des opposants).
Il reste que la rupture du consensus peut aussi devenir une stratégie pour se démarquer des autres candidats et donner une impression de volontarisme politique. Cela montre que le discours politique est aussi affaire de personnalité et que tous les politiciens n’ont pas forcément le même positionnement, contrairement à ce que peuvent penser les “déçus de la politique”.
Cependant, quelque soit la stratégie choisie, tous les candidats acceptent globalement l’illusion politique qui se trouve au fondement de la compétition électorale. Cette illusion est résumée de la façon suivante par Christian Le Bart (Le discours politique, 1998) : l’intérêt général existe, on peut s’en inspirer pour agir sur la société. A travers ce mythe, le discours politique contribue à donner une certaine réalité au citoyen et à la démocratie, faisant ainsi de la participation un enjeu de la vie politique.