Les politiques publiques

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Le président Nicolas Sarkozy
en déplacement (2012).

Selon la définition classique qu’en donne Jean-Claude Thoenig (“L’analyse des politiques publiques” in Traité de science politique sous la direction de Leca et Grawitz, 1985), une politique publique est “un programme d’action propre à une ou plusieurs autorités publiques ou gouvernementales”. Les politiques publiques sont donc des outils et des moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics pour atteindre des objectifs dans un domaine particulier de la société. Elles recouvrent un vaste champ d’intervention possible : ce sont par exemple, la politique économique, la politique de la ville, de la jeunesse, de la sécurité, etc. Ces politiques publiques ont une histoire, c’est-à-dire qu’elles ont connu des évolutions en fonction des préoccupations politiques de l’époque. Des changements de paradigme ou de référentiel sont ainsi susceptibles de se produire expliquant ainsi de nouvelles préoccupations ou justifiant la mise en oeuvre de moyens d’actions différents. 

1/ Il est possible de dresser une typologie des politiques publiques qui montre que leur champ, leurs moyens d’action et leurs objectifs ont varié dans le temps. 

A/ Dans “Four Systems of Policy Politics and Choice” (1972), Théodore Lowi élabore une typologie des politiques publiques. Elle repose sur la distinction de deux éléments : 

  • le type de ressortissant d’une politique publique : (les ressortissants sont les individus, groupes et organisations concernés par la politique publique) la politique publique peut chercher à modifier des comportements individuels ou bien des collectifs moins spécifiés ; 
  • le type de contrainte auquel les instruments utilisés renvoient : la contrainte peut être soit directe, soit indirecte

Le croisement de ces deux paramètres permet d’établir quatre types de politiques publiques : 

  • les politiques réglementaires : ces politiques visent les individus au moyen d’une contrainte directe (obligation scolaire, limitations de vitesse pour les automobilistes, port du casque pour les deux-roues, etc.) ; 
  • les politiques allocatives (ou distributives) : elles visent les individus au moyen d’une contrainte indirecte (attribution de permis de construire, prestation sociale sous conditions spécifiques). Un individu bénéficie d’une action publique s’il remplit un certain nombre de conditions ; 
  • les politiques redistributives : elles concernent des groupes au moyen d’une contrainte directe (sécurité sociale, politique fiscale). Dans ce cas, l’Etat fixe des règles concernant un groupe spécifique. Le groupe entier est alors soumis à une obligation précise (exemple : obligation de cotiser pour la Sécurité sociale) ; 
  • les politiques procédurales (ou constitutives) : elles constituent des contraintes indirectes pour des groupes. Elles passent, le plus souvent, par la mise en place de dispositifs institutionnels (exemple : contrat de plan Etat-région). La puissance publique encadre les politique publique en édictant des règles sur les procédures à suivre. 

Typologie des politiques publiques de Théodore Lowi (1972).

B/ Cette typologie permet de mettre en évidence plusieurs éléments de transformation des politiques de l’Etat. L’Etat s’est historiquement construit à travers la production de politiques publiques : il a progressivement étoffé ses domaines d’action en prenant ainsi divers visages au fil des siècles. 
Dans Sociologie politique : l’action publique (2011), Patrick Hassenteufel distingue plusieurs étapes auxquelles corespondent des figures particulières de l’Etat : 

  • jusqu’au XVIIIe siècle : l’Etat conduit principalement trois politiques publiques qui sont celles de l’Etat régalien, à savoir les politiques de maintien de l’ordre, les politiques militaires et les politiques fiscales. L’action étatique est une intervention directe qui se fait à travers la mise en place d’instruments administratifs telles que la police, l’armée, la justice ainsi que par la production de règles de droit ; 
  • au XIXe siècle : les politiques d’intervention directe sont à leur apogée et forment le socle de l’Etat-nation. D’autres politiques s’affirment alors dans le domaine des transports (chemin de fer) et de la communication (poste, télégraphe), dans le domaine de l’éducation (afin d’unifier la culture nationale, d’imposer la langue française) ;
  • à la fin du XIXe siècle : les politiques redistributives font leur apparition, elles forment le socle de l’Etat-providence. La responsabilité est perçue comme collective et non plus seulement individuelle, d’où la mise en place de systèmes d’assurance collective pour les accidents du travail ; 
  • après la deuxième guerre mondiale : l’Etat devient un Etat producteur, il accroît son intervention dans le domaine économique afin d’accélérer la reconstruction, étend la couverture des systèmes de protection sociale ; 
  • depuis les années 70 : l’interventionnisme de l’Etat est fortement remis en cause, ce qui conduit à mettre un accent plus important sur les politiques procédurales. L’Etat devient un Etat régulateur qui intervient désormais indirectement, en interaction avec d’autres acteurs, et ne fait plus tout lui-même. 

Si chaque époque se caractérise par la domination d’un type de politique publique, il faut toutefois remarquer qu’en pratique, les Etats contemporains combinent dans des proportions variables les divers types de politiques. 

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2/ Pour expliquer ces grands changements de tendance dans la mise en œuvre des politiques publiques, deux notions proches ont été proposées : le paradigme et le référentiel. 

A/ Le paradigme de politique publique renvoie à la conception globale qui anime les promoteurs d’une politique publique. Ce concept de Peter Hall s’inspire de l’épistémologie des sciences de Thomas Kuhn qui, dans La structure des révolutions scientifiques (1983), montre que quatre éléments principaux constituent un paradigme en science, c’est-à-dire un consensus dominant au sein d’un champ scientifique : 

  • des principes métaphysiques généraux : ils orientent la vision du monde des scientifiques (dans le domaine de l’action publique, ce sont les récits globaux du fonctionnement de la société, par exemple le paradigme néolibéral) ; 
  • des hypothèses et des lois : ce sont des axiomes, des théories d’action et des raisonnement qui font le lien entre des principes globaux et les systèmes d’action publique concrets (ce sont les normes d’action que sous-tend un ensemble idéologique) ; 
  • une méthodologie : elle délimite les comportements légitimes (dans l’action publique, ce sont les rapports entre les acteurs qui peuvent être hiérarchiques ou partenariaux) ; 
  • les instruments et les outils : ils permettent l’observation scientifique (dans l’action publique, ce sont les dispositifs d’intervention telles que les aides sectorielles ou les protections douanières). 

Un paradigme fonctionne comme un ensemble d’éléments qui rend un système d’acteurs cohérent et durable. Pour Peter Hall (“Policy Paradigms, Social Learning, and the State : The Case of Economy Policy-Makiing in Britain”, 1993), le changement de paradigme de politique publique s’explique par la remise en cause accumulée des politiques déjà en place. Dans Governing the Economy : The Politics of State Intervention in Britain and France (1986), il estime ainsi qu’un changement de paradigme s’est produit dans le domaine des politiques macro-économiques : si les Trente Glorieuses s’inscrivent dans un paradigme keynésien, un nouveau paradigme libéral et monétariste se met en place à partir des années 1980. 

B/ Le référentiel de politique publique s’inscrit dans une perspective d’analyse cognitive de l’action publique. Selon cette approche, les politiques publiques apparaissent comme la construction d’un rapport au monde propre à une société. Les politiques publiques sont définies à partir d’une certaine représentation d’un problème et de ses solutions envisageables. Comme le souligne Pierre Muller (dans le Que sais-je intitulé Les politiques publiques, 9e édition, 2011) principal tenant de cette approche, “élaborer une politique publique consiste d’abord à construire une représentation, une image de la réalité sur laquelle on veut intervenir. C’est en référence à cette image cognitive que les acteurs organisent leur perception du problème, confrontent leurs solutions et définissent leurs propositions d’action : cette vision du monde est le référentiel d’une politique”. A titre d’exemple, la politique de la santé est définie selon une représentation précise du statut de la maladie dans la société moderne et du statut des personnels chargés de mettre en œuvre les systèmes de soin. 
Selon Pierre Muller, le référentiel articule quatre niveaux de perception du monde qui sont liés entre eux : 

  • les valeurs : les représentations les plus fondamentales sur ce qui est bien ou mal, désirable ou à rejeter. Elles définissent un cadre global de l’action publique ; 
  • les normes : elles définissent des principes d’action plus que des valeurs, par exemple l’exigence de modernisation de l’agriculture ; 
  • les algorithmes : ils sont des relations causales qui expriment une théorie de l’action. Ils peuvent être exprimés sous la forme “si… alors” : “si le gouvernement laisse filer la monnaie, alors les entreprises gagneront en compétitivité” ; 
  • les images : elles sont des vecteurs implicites de valeurs, de normes ou même d’algorithmes. Ce sont des raccourcis cognitifs qui font sens immédiatement. Par exemple, c’est le jeune agriculteur dynamique et modernisé. 

Dans Les politiques publiques (2011), Pierre Muller explique le changement via la distinction entre : 

  • le référentiel global : c’est “une représentation générale autour de laquelle vont s’ordonner et se hiérarchiser les différentes représentations sectorielles. Il est constitué d’un ensemble de valeurs fondamentales qui constituent les croyances de base d’une société, ainsi que de normes qui permettent de choisir entre des conduites”
  • le référentiel sectoriel : c’est “une représentation du secteur, de la discipline ou de la profession”. 

L’articulation ces deux niveau de référentiel forme le Rapport global-sectoriel. Au sein d’un référentiel, la cohérence n’est, en effet, jamais parfaite : il coexiste toujours plusieurs conceptions de la nature et du rôle du secteur. Celle qui domine le peut car elle se conforme à la hiérarchie globale des normes existant dans le référentiel global. Cette représentation s’impose alors comme cadre de référence. Sa force repose justement dans sa capacité à générer des éléments d’articulation entre le global et le sectoriel. Certains acteurs ont donc des capacités plus importantes que d’autres parce qu’ils sont les médiateurs du Rapport global-sectoriel, ce sont eux qui vont occuper une place dominante au sein du secteur considéré.

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C/ Dans Le technocrate et le paysan (1984), Pierre Muller donne un bon exemple de la manière dont s’opère un changement de référentiel dans les politiques publiques. Il distingue deux référentiels globaux dans lesquels viennent s’inscrire les politiques agricoles : 

  • un référentiel d’équilibre : sous la IIIe République, les hommes politiques français mènent une politique de maintenance. Ils ont la volonté de protéger le marché intérieur (tarifs douaniers élevés de Jules Méline), de limiter l’exode rural et donc d’éviter la modernisation de l’agriculture. Le référentiel sectoriel qui lui correspond dans le domaine agricole est celui d’une paysannerie nombreuse ; 
  • un référentiel de modernisation : sous la Ve République, l’arrivée de De Gaulle au pouvoir coïncide avec la mise en place d’un nouveau rapport global-sectoriel. Le secteur agricole est analysé comme un secteur économique qui doit remplir des objectifs de productivité ambitieux pour combler son retard par rapport aux autres pays. Mais il manque encore un référentiel sectoriel pour porter ce nouveau référentiel global. 

C’est ici qu’entrent en jeu les médiateurs qui vont permettre l’harmonisation du référentiel global et du référentiel sectoriel : le Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA). En quelques années, ce syndicat remet en cause les dogmes des anciennes élites agrariennes en insistant sur la nécessité pour l’agriculture de se moderniser. Il construit une nouvelle représentation du métier d’agriculteur et une nouvelle conception du rôle social de l’agriculture. Il va rendre intelligible les changements dans le domaine agricole et proposer un programme d’actions pour accélérer les transformations, et notamment de favoriser l’accroissement de la taille des exploitations (par des mesures d’aide au départ des vieux agriculteurs afin que les jeunes puissent racheter leur terre). 
Le gouvernement qui affronte alors une crise de modernisation due à l’écart entre le nouveau référentiel global et l’ancien référentiel sectoriel, va s’appuyer sur ces médiateurs pour promouvoir sa politique. Il reprend le programme du CNJA et crée plusieurs lois qui actent la transformation du référentiel de politique agricole. Il fait même du CNJA un médiateur privilégié en écartant de la discussion les autres syndicats. Les dirigeants de ce syndicat vont ensuite accéder aux commandes de la principale organisation paysanne, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), ce qui confirme la prise du pouvoir du CNJA sur le secteur agricole. 
Ainsi pour Pierre Muller, il existe une relation directe et réciproque entre un changement de référentiel et la promotion d’un nouveau groupe à la tête du secteur concerné. Elle est due au fait que ce nouveau référentiel exprime la vision du monde de ce groupe à travers sa vision du rapport global-sectoriel.