Martine Aubry (PS), Pierre Laurent (PC) et Cécile Duflot (EELV). |
La gauche, la droite, mais aussi le Front populaire, le cartel des gauches ou encore la gauche plurielle sont les indices que les frontières des partis politiques ne sont pas totalement étanches. Il existe entre les différents partis des possibilités d’accord, voire même d’alliance. Les relations que les partis entretiennent forment un système dont l’analyse permet de comprendre le fonctionnement de la vie politique des démocraties pluralistes.
Ainsi, toute démocratie dispose d’un système de partis dont la description permet de mettre en évidence :
- les partis significativement représentatifs sur le plan politique et électoral ;
- la distribution des forces et son degré de stabilité ;
- les relations d’opposition ou d’alliance, de rapprochement ou d’éloignement entre les partis.
Après avoir déterminé les principaux facteurs influençant la configuration des systèmes de partis (1), nous verrons quelles sont les différentes manières de les appréhender (2).
1/ Les principaux facteurs structurant les systèmes de partis sont d’une part, les facteurs idéologiques, sociaux, culturels et historiques, et d’autre part, le choix des modes de scrutin.
A/ Dans “Cleavage Structures, Party Systems, and Voter Alignments” (1967), Seymour Lipset et Stein Rokkan recourent à l’histoire pour éclairer l’origine des clivages partisans. Selon eux, les partis politiques sont à la fois des agents de conflits et des instruments d’intégration. Ils sont issus de quatre clivages fondamentaux qui sont nés lors de deux périodes distinctes :
- la Révolution française :
- Etat/ Eglise ;
- centre/périphérie ;
- la révolution industrielle :
- urbain/rural ;
- possédants/travailleurs.
Dans Partis et familles politiques (1980), Daniel Louis Seiler construit huit familles potentielles de partis correspondant à ces clivages :
- Etat/Eglise : partis démocrates contre partis anticléricaux ;
- centre/périphérie : partis centralistes/partis populistes ;
- urbain/rural : partis agrariens ;
- possédants/travailleurs : partis bourgeois contre partis ouvriers.
Ces classifications sont certes réductrices (schéma binaire), mais leur simplicité permet d’analyser la naissance des systèmes de partis autour de clivages historiquement marqués. Par exemple, le clivage religieux opposant l’Etat et la religion lors de la Révolution française a entraîné l’émergence de partis anticléricaux et de partis confessionnels. Il reste que tout travail rigoureux de classement des partis se doit de prendre aussi en compte d’autres critères tels que les discours ou la base sociale.
B/ Les systèmes de partis peuvent aussi être déterminés par les dispositions constitutionnelles. Par exemple, suite à la deuxième guerre mondiale, la Cour constitutionnelle allemande a exclu du jeu démocratique les formations extrémistes. Mais l’intensité de cette influence fait débat.
Dans Les partis politiques (1951), Maurice Duverger défend que les modes de scrutin conduisent à structurer les systèmes de partis :
- la représentation proportionnelle : elle tend à un système de partis multiples, rigides et indépendants les uns des autres ;
- le scrutin majoritaire à deux tours : il tend à un système de partis multiples, souples mais dépendants les uns des autres (la coopération est nécessaire pour former des alliances) ;
- le scrutin majoritaire à un tour : il tend à un dualisme des partis.
Dans Partis politiques et réalités sociales (1962), George Lavau prétend, au contraire, que les systèmes de partis sont d’abord structurés par des facteurs sociologiques, historiques ou culturels. Maurice Duverger a fini d’ailleurs par tenir compte de cette idée et à modérer sa position en conséquence : les modes de scrutin agissent comme des freins ou des accélérateurs de la construction des systèmes de partis, les facteurs déterminants étant les structures socio-économiques, les réalités nationales ou les idéologies.
Dans The political consequences of electoral laws (1967), Douglas Rae nuance l’analyse de Duverger en soulignant un certain nombre d’exceptions (par exemple, l’Autriche connaît un bipartisme malgré un scrutin proportionnel). Il remarque ensuite, la tendance des systèmes électoraux à accentuer la représentation des partis ayant un poids important électoralement et à diminuer celle des partis plus petits. En outre, il observe que le bipartisme et le scrutin majoritaire à un tour ne sont pas nécessairement liés. Enfin, il note que plus la taille des circonscriptions est grande, et plus les suffrages et les sièges se dispersent entre les partis, et ce, indépendamment du mode de scrutin. A l’inverse, plus elles sont petites et moins la représentation est proportionnelle. Par conséquent, un régime électoral n’a pas d’effet mécanique sur un système de partis. L’histoire nationale ou la nature du consensus social sont des éléments à prendre en compte pour comprendre la structuration d’un système de parti.
C/ Il existe trois grandes sortes de scrutin majoritaire auxquels correspondent certaines influences :
- le scrutin majoritaire uninominal à un tour : il invite au vote utile et à l’élimination des partis tiers. Les deux formations principales sont favorisées et leur représentation renforcée. Comme le notait Douglas Rae, ce mode de scrutin influence la formation d’un bipartisme, mais pas de manière systématique. L’exemple type de ce mode de scrutin est celui de la Grande-Bretagne : la logique d’affrontement favorise le choix de l’électorat. Le parti qui arrive le premier reçoit la mission de gouverner ;
- le scrutin majoritaire à deux tours : le premier tour permet de faire un état des lieux des forces de chacun, le second laisse place aux tractations et aux alliances. Les partis trop idéologiques sont ainsi voués à la marginalisation (ce fut longtemps le cas du PCF qui ne voulait pas s’allier à la SFIO). Ce mode de scrutin influence un système de parti structuré en deux pôles opposés. Des forces politiques hors de ces pôles peuvent apparaître (FN, Modem), mais leur représentation reste faible et marginale, notamment au Parlement. Le vote extrémiste devient alors un vote contestataire du système politique plus qu’un réel désir de voir un tel parti gouverner. L’exemple type est celui de la France où les alliances se nouent bien souvent avant l’élection, les électeurs ayant une idée de la coalition qui va gouverner à l’issue d’un scrutin ;
- la représentation proportionnelle : elle favorise une fragmentation politique, mais ne conduit pas forcément à l’instabilité ou au multipartisme. Les partis n’ont pas d’intérêt à s’allier lors des élections, ce qui favorise leur éparpillement. Elle permet de faire apparaître de nouveaux partis représentatifs de tendances récentes de l’opinion (le FN en 1984 pendant les élections européennes). Elle donne parfois un rôle important aux partis charnières (ceux qui sont nécessaires pour former une majorité, mais qui n’ont pas de poids suffisant à eux seuls pour gouverner). Enfin, elle favorise un choix médiatisé puisqu’elle délègue aux partis le choix des alliances, laissant ainsi la possibilité de les conclure après l’élection.
2/ Les systèmes de partis peuvent être appréhendés selon le nombre de partis, la polarisation ou encore les coalitions que les partis sont amenés à construire pour remporter les élections.
A/ La configuration des systèmes de partis influe sensiblement sur leur fonctionnement. En fonction de leur fractionnement, il est possible de distinguer deux types de systèmes :
- le bipartisme ;
- le multipartisme.
a) Le bipartisme désigne la présence de deux partis disposant d’un quasi-monopole de la représentation politique. Il peut avoir deux types de caractéristiques différentes :
- il peut être souple ou rigide : lorsque les partis connaissent une discipline de vote (ex : Grande-Bretagne où la discipline du parti majoritaire assure une certaine stabilité au gouvernement, la chambre des communes étant une chambre d’enregistrement soumise au Premier ministre), le bipartisme est rigide. Dans le cas contraire, il est souple ;
- il peut être parfait ou imparfait : lorsque deux partis représentent près de 90 % des suffrages et peuvent gouverner sans allié, le bipartisme est parfait. Lorsque qu’ils recueillent entre 75 et 80 %, il est imparfait, car il rend nécessaire l’alliance à un tiers parti pour gouverner (ex : l’Allemagne et ses deux partis et demi : l’union chrétienne (CDU/CSU), les sociaux-démocrates (SPD) qui font entre 30 et 40 %, et les libéraux (FDP) qui font généralement entre 10 et 15 %).
b) Le multipartisme désigne la présence de plusieurs partis en concurrence qui doivent former des coalitions pour gouverner. Si le multipartisme est intégral, aucun parti ne dispose d’une position hégémonique au sein d’une alliance. La fragmentation partisane est forte et les coalitions, tout comme les gouvernements, sont instables.
B/ Le modèle de Giovanni Sartori présenté dans Parties and party system (1976) analyse le système de partis en terme de polarisation. La polarisation désigne la distance qui sépare les partis les plus éloignés. Elle peut être mesurée par l’intermédiaire du rejet que certains partis suscitent (par exemple, le FN). Un système polarisé s’organise autour de pôles négatifs qui fondent les préférences. Il existe alors deux possibilités :
- la bipolarité : système de partis organisé autour de deux pôles (quelque soit le nombre de partis) ; dans ce cas, le système est dépourvu de centre ;
- la multipolarité : système de partis organisé autour de plus de deux pôles et qui possède par conséquent un centre.
Sartori propose également de distinguer plusieurs degrés de multipolarités :
- la multipolarité modérée : entre 3 et 5 partis, qui sont eux-mêmes plutôt modérés ;
- la multipolarité extrême : plus de 5 partis. Dans ce modèle, les extrêmes jouent un rôle important et tendent à polariser davantage le débat politique (cf. le débat autour du positionnement de la droite en France depuis 2007 qui reprend certains thèmes traditionnellement associés à l’extrême droite).
Alors que la bipolarité converge idéologiquement vers le centre, la multipolarité implique au contraire une distance idéologique importante entre les pôles, ce qui représente une menace pour l’équilibre du système. Ces notions donnent ainsi une indication sur le degré de fragmentation. L’important est moins le nombre de pôles que la distance qui les sépare. Quand l’éventail des opinions politiques est extrême, autrement dit quand les pôles de droite et de gauche d’un système politique représentent véritablement deux pôles opposés, le système de partis est polarisé. L’intensité de la polarisation peut donc être :
- faible : il n’existe pas de partis anti-système et la compétition est centripète ;
- forte : il existe des partis anti-système et la compétition est centrifuge.
L’analyse en termes de polarisation permet ainsi de montrer deux choses :
- l’existence d’un centre dépend de la polarisation idéologique des systèmes de partis (la présence de partis extrémistes à droite et à gauche en France suggère que la présence d’un centre indépendant n’est pas viable à long terme) ;
- les systèmes bipolaires convergent généralement vers le centre et favorisent le consensus, alors que les systèmes multipolaires conduisent plutôt à des débats politiques animés et à une possibilité forte de fracture au sein de la société.
Cette analyse en terme de polarisation permet ainsi d’éclairer la stabilité des systèmes de partis. Par conséquent, la durée d’un gouvernement tient moins à l’existence d’un parti majoritaire qu’à l’existence d’une polarité modérée.
C/ La théorie des coalitions a été formalisée par William Riker dans The Theory of Political Coalition (1962). Elle rend compte des formes d’alliances qui se nouent au Parlement pour former le gouvernement. Elle est solidaire d’une approche utilitariste du type théorie des jeux. Elle repose sur trois postulats :
- la rationalité des acteurs ;
- deux coalitions se battent pour un enjeu (et non plusieurs) ;
- le principe de l’économie de taille : l’étendue des coalitions est limitée à ce qui est nécessaire pour remporter une élection.
A partir de ces postulats, Riker va distinguer deux types de coalition probable en fonction des résultats obtenus :
- la coalition minimale : tous les partis de la coalition sont nécessaires à la victoire, toute défection entraînant la défaite ;
- la coalition minimale victorieuse avantageuse : les partis les plus forts ont intérêt à s’allier aux plus faibles pour assurer leur hégémonie sur la majorité.
Cette approche comptable néglige cependant l’approche psychologique des alliances. Elle présente néanmoins l’intérêt de mettre en évidence l’existence de ce que Jean et Monica Charlot ont appelé en 1985 dans “L’interaction des groupes politiques”, “les partis charnières”, c’est-à-dire les partis indispensables à une coalition minimale victorieuse. Ces partis sont à la fois marginaux et indispensables pour former une coalition. Par conséquent, ils peuvent peser sur la coalition et en retirer des bénéfices supérieurs à leur poids politique. Ils sont généralement situés soit au centre, soit aux extrêmes.
D’autres auteurs ont cherché à mettre en évidence la dimension idéologique qui se retrouve dans les coalitions. En effet, deux partis qui ensemble sont majoritaires, peuvent parfois s’allier avec des petits partis dont ils n’ont pas besoin pour gouverner. Robert Axelrod (Conflict of Interest. A Theory of Divergent Goals with Applications to Politics, 1970) prend en compte cette dimension idéologique à travers le concept de “coalition minimale victorieuse connexe” (minimal-connected winning coalition) : la coalition gagnante la plus homogène sur le plan idéologique est préférable à toute autre coalition gagnante. Des alliances contre nature, mêmes majoritaires, sont trop difficiles à gérer sur le plan gouvernemental et surtout devant les électeurs.