Le principe d’annualité budgétaire

Le principe d’annualité budgétaire est l’une des cinq grandes règles techniques fondamentales encadrant le budget de l’Etat. Il met l’accent sur la durée pour laquelle le Parlement autorise le gouvernement à percevoir les impôts : une année. 
Ce principe est énoncé à l’art. 1er LOLF : “les lois de finances, déterminent pour un exercice, la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’Etat”, en précisant que  “l’exercice s’étend sur une année civile”.  Une année civile est une année qui s’étend du 1er janvier au 31 décembre. Une année budgétaire coïncide donc avec l’année civile (ce qui peut poser problèmes à certaines administrations comme l’Education nationale qui ne fonctionnent pas dans ce cadre). Il est énoncé également à l’art. 6 LOLF : “le budget décrit, pour une année, l’ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l’Etat”. En outre l’art. 15 LOLF précise que les crédits ouverts au titre d’un budget ne créent aucun droit au titre du budget suivant. Par conséquent, le Parlement vote le budget chaque année et il n’est valable que pour une année seulement. 

1/ Le principe d’annualité qui encadre la durée de validité du budget de l’Etat a deux conséquences :

  • l’horizon financier de l’Etat est, en principe, limité à un an : une loi de finances ne peut pas comporter des autorisations sur plusieurs années ;
  • le budget doit être exécuté dans l’année par le gouvernement.

Les justifications à ce principe sont d’ordre :

  • politique : l’efficacité du contrôle parlementaire impose une périodicité assez brève afin que soit respectée l’obligation du consentement à l’impôt de l’art. 14 DDHC ;
  • technique : la publication annuelle des comptes constitue une obligation pour les administrations, ce qui permet l’appréciation de la bonne gestion des deniers publics ;
  • économique : l’annualité colle au rythme de vie sociale et économique, notamment du fait que les entreprises doivent aussi produire un bilan annuel de leur compte.

Dans le budget de l’Etat, il existe cependant un nombre important d’engagements de dépenses sur plusieurs années : 

  • les emplois de fonctionnaires : la création d’un poste se traduit dans les faits par un engagement pluriannuel (paiement du traitement, puis de la retraite) ;
  • la charge de la dette : l’Etat qui emprunte paie des intérêts pour toute la durée des annuités ;
  • les bonifications d’intérêt : la favorisation de l’octroi de prêt à des taux privilégiés conduit l’Etat à alléger la charge du débiteur sur plusieurs années.

L’extension du rôle de l’Etat dans l’après Seconde Guerre mondiale et la mise en place de politiques volontaristes ont conduit à remettre en cause le principe d’annualité pour des raisons : 

  • techniques : le développement des investissements de l’Etat et leur nécessaire étalement sur une période longue exige une certaine continuité qui est malaisément garantie par le cadre de l’annualité ;
  • économico-politiques : le développement de la programmation à moyen et long terme se fait dans l’idée de mieux réguler l’économie de marché par l’intervention de l’Etat et dans un souci de prévision de l’évolution des finances publiques à plus long terme.

Cette remise en cause a conduit à un nouvel équilibre entre l’exigence de vision stratégique de la gestion du budget de l’Etat et l’exigence d’une autorisation annuelle de l’ensemble des crédits de l’Etat, notamment grâce à la LOLF. Certes, l’ordonnance de 1959 avait déjà prévu des mécanismes de pluriannualité à travers les lois de programmes, mais ils se sont révélés inefficaces. L’influence de l’Union européenne a pesé sur la mise en place de cette vision stratégique. Les exigences du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) orientent les Etats vers une logique pluriannuelle en leur imposant l’élaboration de programmes annuels de finances publiques (PAFP). Ces programmes engagent les Etats sur des objectifs et sont communiqués à la Commission et au Conseil. La programmation à moyen terme de l’Etat devient ainsi progressivement un principe de politique budgétaire. 

2/ Le principe d’annualité connaît des aménagements et des dérogations.

a) L’un des principaux aménagements du principe d’annualité réalisé par la LOLF consiste à étendre le mécanisme des autorisations de programme (AP)  et des crédits de paiement (CP) à l’ensemble des dépenses publiques. 
La distinction AP/CP trouve son origine dans l’Ordonnance de 1959. Cette ordonnance met en place un mécanisme qui permet de déterminer le montant maximum des crédits qui peut être engagé par un ministre sur plusieurs années. Les autorisations de programmes autorisent à dépenser et, au fil de l’année, les dépenses de programme sont mises en oeuvre. Une autorisation de programme est valable sans limitation de durée, jusqu’à ce qu’il soit procédé à son annulation. Elle concerne l’ensemble d’une opération qui peut être divisée en plusieurs tranches fonctionnelles (chaque tranche donne lieu à une autorisation de programme distincte). La réalisation progressive du programme donne lieu à l’inscription au budget, chaque année, des crédits de paiement (CP) nécessaires. Ce mécanisme ne vaut cependant que pour les dépenses d’investissement.
Dans le budget de l’Etat, on fait en effet la distinction entre les dépenses d’investissement et les dépenses de fonctionnement. La LOLF, qui depuis 2006, remplace de manière effective l’Ordonnance de 1959 et s’impose comme la nouvelle constitution financière de l’Etat, étend le mécanisme des autorisations de programme aux dépenses de fonctionnement (à l’exception des dépenses de personnel). Elle substitue par ailleurs à la notion d’autorisations de programme (AP) celle plus générale d’autorisations d’engagement (AE). Cette extension suit la logique de fongibilité des crédits (c’est-à-dire de la mise en place d’enveloppes globalisées rassemblant l’ensemble des moyens nécessaires pour accomplir les objectifs d’une politique publique). Toutes les dépenses peuvent donc être engagées de manière pluriannuelle (sauf les dépenses de personnel, c’est pourquoi la fongibilité est dite asymétrique).
Cette nouvelle organisation de la pluriannualité ne casse pas pour autant le principe de l’annualité budgétaire. Le mécanisme des autorisations d’engagement (AE) ne permet qu’une autorisation de dépense partielle. Pour engager la dépense, le Gouvernement a besoin en effet, chaque année, d’obtenir le vote des crédits de paiement (CP), c’est-à-dire l’acceptation pour l’année de l’échéancier prévu par les autorisations d’engagement (AE). Le Parlement reste donc libre de réduire ces crédits, voire même de les refuser. Avec la LOLF, son pouvoir est renforcé puisqu’il vote désormais non seulement l’autorisation d’engagement des dépenses d’investissement, celles des dépenses de fonctionnement, mais aussi le règlement de la dépense, c’est-à-dire les crédits de paiement pour l’ensemble de ces dépenses (CP). 
En résumé donc : 

  • les autorisations d’engagement (AE) : comme les autorisations de programmes (AP), elles permettent d’envisager une dépense sur une période dépassant le cadre annuel, d’en fixer la limite supérieure pouvant être engagée et de distinguer, pour chaque année, les crédits de paiement correspondant à la tranche qu’il conviendra de payer pour l’année considérée ; mais elles remplacent les autorisations de programme (AP) car elles s’étendent désormais aux dépenses de fonctionnement ; 
  • les crédits de paiement (CP) : ils désignent la limite supérieure des dépenses pouvant être ordonnancées ou payées pendant l’année pour la couverture des engagements contractuels dans le cadre des autorisations d’engagement. Pour les dépenses de personnel, le montant des autorisations d’engagements ouvertes est égal au montant des crédits de paiement ouvert.
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b) Outre cette organisation de la pluriannualité dans un cadre annuel, le principe d’annualité comporte un certain nombre de dérogations :

  • les crédits de report ;
  • les opérations de régularisation ;
  • la technique dite des douzièmes provisoires.

(1) Les crédits de report sont les opérations par lesquelles les crédits non consommés accordés à un ministère pour une année peuvent venir s’ajouter à la dotation correspondante du budget de l’année suivante. Normalement l’art. 15 LOLF dispose que les crédits ouverts au titre d’une année ne créent aucun droit au titre des années suivantes, mais ce principe est assorti d’assouplissements afin :

  • d’éviter le gaspillage des crédits en surplus par les services (du fait de la crainte de les voir annulés en fin d’année) ;
  • de pallier aux événements indépendants de la volonté des ministères pouvant engendrer certains retards dans l’exécution de projets.

Les autorisations d’engagement (AE) disponibles sur un programme à la fin de l’année peuvent être reportées sur le même programme ou sur un programme poursuivant les mêmes objectifs par arrêté conjoint du ministre des Finances et du ministre intéressé. Les crédits de personnel font exception. 
Les crédits de paiement (CP) disponibles sur un programme peuvent également être reportés dans les mêmes conditions. Deux conditions supplémentaires :

  • les dépenses de personnel du programme bénéficiant du report peuvent être majorées dans la limite de 3% ;
  • les crédits inscrits sur les autres titres du programme peuvent être majorés également dans la limite globale de 3 % des crédits initiaux reportés.

(2) Les opérations de régularisation désignent les opérations effectuées par le comptable durant une période complémentaire limitée à 20 jours. Dans le respect de ce délai, les opérations prévues par la loi de finances rectificative (LFR) de fin d’année peuvent être à la fois ordonnancées et comptabilisées au-delà de l’année civile. La Cour des comptes propose de supprimer cette période complémentaire. Elle estime que les opérations peuvent être reprises dans une loi de finances rectificative de fin d’année à condition de la présenter moins tardivement (en 2008, cela représente 2,8 Mds de dépenses et 1,7 Mds de recettes).
(3) La technique des douzièmes provisoires consiste à voter la reconduction des crédits budgétaires sur la base d’un douzième (par mois de retard) des crédits accordés au titre de l’année précédente. Sous la IIIe et IVe République, faute de majorité stable, le vote du budget ne pouvant pas être acquis avant le début de l’exercice, on recourait assez régulièrement à cette technique (par exemple en 1951 : budget adopté avec 5 mois de retard). Mais ce régime est inappliquée sous la Ve République parce que la Constitution de 1958 et l’Ordonnance de 1959, puis la LOLF ont prévu des procédures d’urgence au cas où le budget ne pourrait pas être adopté dans les délais constitutionnellement prévus (art. 45 LOLF). En revanche, cette technique est utilisée au niveau européen lorsque le budget n’est pas arrêté définitivement à l’ouverture de l’exercice budgétaire.